Le référendum ADP cherche à redécoller

L’objectif légal semble difficile à atteindre, mais le million de signataires pourrait être atteint fin septembre. Les organisateurs de la campagne dénoncent le black-out médiatique.

Michel Soudais  • 11 septembre 2019 abonné·es
Le référendum ADP cherche à redécoller
© photo : Des membres de la CGT portent des chasubles contre la privatisation d’ADP lors d’une manifestation de gilets jaunes, le 13 mars 2019 à Paris.crédit : Philippe LOPEZ/AFP

Comment recueillir 4 717 396 signatures d’ici au 12 mars 2020 ? « Dans les différents réseaux militants, la question est dans toutes les têtes », reconnaît Vincent Gay, coordinateur pour Attac de la mobilisation contre la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Car en cette rentrée, le bilan de la collecte de soutiens est, il en convient, « un peu mitigé ». Partie en flèche le 13 juin, au lancement du site Internet du gouvernement, la collecte s’est considérablement ralentie cet été.

Au 1er juillet, le Conseil constitutionnel recensait 480 300 soutiens, dont 97 % avaient « franchi avec succès le stade des vérifications administratives auxquelles il incombe au ministère de l’Intérieur de procéder ». Le 29 août, les « Sages » annonçaient l’enregistrement de 713 000 soutiens, étant entendu que « ce nombre prend en compte à la fois les soutiens enregistrés sur Internet, par leurs propres moyens, par les électeurs inscrits sur les listes électorales, et ceux qu’ils ont déposés sur les équipements mis à leur disposition dans plus de 2 000 communes ou dans les consulats ». Lors du lancement de la procédure, il fallait 17 000 signatures par jour pour espérer atteindre l’objectif, mais après deux mois d’été à la moyenne quotidienne sous les 4 000 signatures, il en faudrait désormais chaque jour 21 640, a calculé le très intéressant site de comptage adprip.fr.

Les opposants à la privatisation d’Aéroports de Paris ne s’avouent pas vaincus pour autant. « On savait que l’été allait être un vrai handicap », explique Éric Coquerel. Le député insoumis estime que plusieurs événements peuvent relancer la dynamique. « Il y a un regain de mobilisation », abonde la présidente du groupe communiste au Sénat, Éliane Assassi. Avant de détailler comment les organisateurs de la Fête de l’Humanité entendent « redynamiser la campagne » ce week-end à La Courneuve. Plusieurs débats sur ADP y sont programmés, ainsi qu’une rencontre sur le stand des parlementaires communistes avec des représentants des 248 signataires de la proposition de loi référendaire à l’origine de la procédure de référendum d’initiative partagée (RIP). « Beaucoup de stands ont dédié une partie de leur espace au recueil des signatures », annonce-t-elle. Équipés d’ordinateurs connectés à Internet, ils pourront aussi faire remplir 100 000 formulaires Cerfa, qui seront enregistrés sur le site du gouvernement après la fête ou remis aux signataires invités à collecter à leur tour des signatures.

La trêve estivale achevée, les initiateurs du RIP se demandent comment informer les Français qu’ils peuvent se saisir de ce nouveau droit. La très grande majorité ignore jusqu’à son existence. Et pour cause. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 initiée par Nicolas Sarkozy, qui a institué le RIP, celui-ci n’a jamais été utilisé. D’abord parce qu’il a fallu attendre cinq ans et un changement de majorité pour qu’une loi ordinaire et une loi organique fixent ses modalités d’organisation, non sans repousser encore d’un an supplémentaire son entrée en vigueur effective, au 1er janvier 2015. Ensuite parce que les conditions imposées pour déclencher un RIP sont telles qu’elles n’avaient pu jusqu’ici être réunies. La première est que la demande soit portée par 20 % de parlementaires, soit 185 députés ou sénateurs. La seconde nécessite que cette demande soit validée par le Conseil constitutionnel. Ces deux étapes franchies, il reste aux opposants à la privatisation d’ADP à gravir l’Himalaya : obtenir dans un délai de neuf mois le soutien dûment vérifié de 10 % du corps électoral.

Cela ne peut se faire sans un minimum d’information des électeurs, clament-ils en chœur. Or les grands médias opèrent un véritable black-out sur ce nouveau mode de consultation. Dans les trente jours qui ont suivi l’ouverture du grand débat macronien en janvier, nos confrères du Média ont comptabilisé 13 000 articles traitant de ce sujet, contre à peine 500 relatifs à la pétition du référendum pour ADP, « c’est-à-dire 25 fois moins ». Au JT de France 2, pointent-ils, « l’ouverture du grand débat a été traité 24 jours sur les 30 premiers de la consultation, mais la pétition pour ADP n’a été abordée qu’une fois depuis son lancement et encore seulement pour une durée de deux minutes ».

Face à ce déni d’information, une délégation parlementaire a sollicité le 23 juillet le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Roch-Olivier Maistre, qui a refusé d’intervenir. « Il nous a répondu : “La loi, toute la loi mais rien que la loi” », a résumé Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat. « Dans la loi organique, rien n’est prévu pour amener le gouvernement à avoir une forme de communication pour dire que ce référendum existe. Le CSA n’a pas d’injonctions à donner aux chaînes privées ou publiques pour imposer une information aux Français. »

Interpellé à plusieurs reprises pour qu’il informe au moins de l’existence d’une consultation, le gouvernement s’y refuse. « Nous ne ferons pas la promotion d’un dispositif qui va à l’encontre de nos idées, a lâché Sibeth Ndiaye, sa porte-parole, sur France Inter. Quand on ne veut pas que quelque chose se sache, on n’en parle pas. Les Français l’ont bien compris. »

Du coup, hormis les gens impliqués politiquement ou très informés, « la grande majorité des gens ne sont pas au courant de la possibilité qui leur est offerte », confirme Jean-Claude Debuly. Deux fois par semaine depuis juin, lui et les insoumis de la 3e circonscription du Val-d’Oise tiennent des points de signatures, armés de deux ou trois smartphones. Essentiellement au pied des immeubles des cités populaires. Annoncés par affichettes et dans les boîtes aux lettres, ces initiatives leur ont permis de recueillir à ce jour 145 soutiens. Un travail de fourmis maintenu, en dépit des difficultés d’inscription sur le site, de l’indifférence des maires, voire de leur hostilité. Invités par courrier à informer la population de l’existence de cette procédure, aucun des douze maires de la circonscription (LR, divers droite, apparenté LREM, PCF) « n’a daigné nous répondre », se plaint-il.

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Pire, « devant la mairie de Montigny-lès-Cormeilles », dirigée par un ex-PCF rallié à la macronie, « on a même eu la désagréable surprise de voir arriver la police municipale pour nous demander de dégager », se scandalise-t-il. Un autre jour, la police intercommunale les a contraints à ne plus stationner dans une cité. « Nous sommes dans une démarche citoyenne permise par le Conseil constitutionnel, cela ne devrait pas poser de problème. »

Pour rompre le silence qui entoure la campagne de soutien à ADP et l’installer politiquement, Patrick Kanner, Éliane Assassi et Éric Coquerel, espèrent passer le « cap symbolique » du million de signataires fin septembre. « Un objectif atteignable » qui permettra, ils l’envisagent déjà, d’interpeller Emmanuel Macron : puisque le 25 avril, le chef de l’État s’est dit favorable à une réforme du RIP et l’abaissement du nombre de signatures à un million, pourquoi ne pas le faire maintenant ? Mais aussi d’organiser de larges rassemblements et notamment un meeting national. Or si les politiques et les associatifs s’entendent sur la nécessité de prendre des initiatives qui rythment la campagne, la coordination qui regroupe depuis la mi-juillet une trentaine de mouvements et d’organisations syndicales, associatives et politiques autour d’Attac et de la Fondation Copernic peine à les concevoir. Son site Internet commun ne verra pas le jour avant la fin du mois. Et le travail pour sortir une affiche et un tract commun commence à peine. Ces retards pourraient bien masquer des divergences sur le type de campagne à mener. « On n’est pas pour mener campagne avec les gens de droite qui n’ont aucune position de principe sur les privatisations », déclare Vincent Gay pour Attac, en rappelant qu’ADP est, pour son association et la Fondation Copernic, « un moyen de poser la question des communs et des services publics ».

« On sait bien que sur des pétitions citoyennes, on est capable d’avoir 1,7 million de signatures, mais pour atteindre 4,7 millions il va falloir déborder notre camp », avertit Éric Coquerel, dont le mouvement souhaite continuer à inviter les parlementaires de droite qui ont signé dans des meetings communs, comme en juin pour le lancement de la campagne de signatures. Un point de vue partagé par Éliane Assassi. Très attachée à ce que la « dynamique plurielle subsiste », elle assure avoir fait signer des gens favorables à la privatisation. L’exigence de référendum, conclut-elle, n’est « pas qu’une histoire d’opposants à la privatisation. Il y a tous les gens qui veulent participer à la décision démocratique ».

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