Canada : Le climat ou les hydrocarbures ?

Tous les candidats aux élections fédérales du 21 octobre ont inclus un plan environnemental dans leur programme. Mais le développement économique et les emplois restent les enjeux décisifs.

Marine Caleb  • 16 octobre 2019 abonné·es
Canada : Le climat ou les hydrocarbures ?
© Le 27 septembre, 500 000 personnes ont marché pour le climat à Montréal. Minas Panagiotakis/GETTY IMAGES/AFP

Ils étaient 500 000 à marcher dans les rues de Montréal le 27 septembre. C’est le plus gros rassemblement de l’histoire du Québec. Des grèves ont eu lieu à travers tout le pays dans 97 villes. Au-delà des étudiants, la mobilisation a réuni les syndicats, les scientifiques et les autochtones, mais aussi les politiques en campagne pour les élections fédérales du 21 octobre. Elizabeth May, candidate du Parti vert, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Yves-François Blanchet, du Bloc québécois, et le Premier ministre libéral sortant, Justin Trudeau, se sont joints au mouvement de Montréal.

Tous, donc, sauf Maxime Bernier et Andrew Scheer. Le premier, chef du Parti populaire, estime que le CO2 est de la « nourriture pour les plantes ». Le second est le candidat du Parti conservateur et le concurrent de Justin Trudeau dans les sondages. Lui veut bien répondre à l’urgence climatique, mais ne propose pas de plan concret pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C.

Si tous les partis intègrent l’environnement dans leurs discours, les programmes peinent à convaincre. « Des choses intéressantes sont sur la table, mais suffiront-elles à atteindre nos objectifs ? », se demande Maya Jegen, spécialiste des politiques énergétiques à l’université du Québec à Montréal. En témoigne le bilan de Justin Trudeau, qui avait un discours environnementaliste en 2015. À l’aube de la COP 21, alors que le climat devenait un enjeu au Canada, il promettait la réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport à 2005. Elles ont baissé de 2 % depuis. Autre déception, l’achat de l’oléoduc Trans Mountain au printemps 2019. Il reliera l’Alberta au Pacifique pour désenclaver cette province en difficulté depuis la chute du prix du pétrole. Un geste insuffisant pour les Albertains et une traîtrise pour les régions moins pétrolières.

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Cette année, Justin Trudeau s’est entouré de Steven Guilbeault, cofondateur d’Équiterre, un organisme environnemental québécois. « Ce candidat vedette [dans la circonscription de Laurier-Sainte-Marie, à Montréal, NDLR] est pressenti comme ministre de l’Environnement, ce qui rappelle Nicolas Hulot en France », détaille Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (Iris). Fort de cette caution militante, Trudeau vise la neutralité carbone en 2030. « Ça ne veut pas dire qu’on va réduire les émissions, mais qu’elles seront compensées par la plantation d’arbres, par exemple », explique Bertrand Schepper. Pour atteindre ces objectifs, Ottawa a instauré une taxe carbone pour toutes les provinces qui n’en possédaient pas déjà. La tonne de CO2 coûte aujourd’hui 20 dollars (13,50 euros). « Elle devra être au moins doublée pour être efficace », selon Maya Jegen.

Si la majorité des Canadiens semblent favorables à la taxe carbone, l’électorat conservateur et la population albertaine y sont majoritairement opposés. Pour Andrew Scheer, cette taxe est inefficace et pèse sur les citoyens : il a promis de l’abolir s’il est élu. Une idée saluée par ses électeurs et les Premiers ministres ontarien et albertain. À l’instar de l’ancien Premier ministre Stephen Harper, Scheer veut plutôt encourager le privé à développer la filière des hydrocarbures et des énergies vertes canadiennes, comme tente déjà de le faire l’Alberta. Son projet de corridor énergétique permettrait d’arrêter les importations de bitume états-unien. Le pétrole local pourrait être transporté dans tout le pays et dans le monde. S’il était réalisable, ce plan ferait augmenter les émissions de GES de 14,3 % d’ici à 2030, selon une analyse de l’économiste Mark Jaccard, de l’université Simon-Fraser.

Les autres partis tentent de se positionner entre intérêts économiques et protection de l’environnement. Mais la balance penche rarement du côté du climat. Contrairement à la France, le débat sur le Ceta s’est focalisé sur l’avenir des producteurs canadiens face à l’arrivée du marché européen plutôt que sur les impacts environnementaux. Parmi les néo-démocrates, les conservateurs ou les libéraux, aucun chef ne s’est engagé à « interdire tout nouveau projet d’hydrocarbures », selon le quotidien indépendant Le Devoir. Jagmeet Singh promet d’éliminer les subventions aux combustibles fossiles, mais pourrait considérer des projets s’ils respectent les objectifs climatiques et créent des emplois.

De son côté, Yves-François Blanchet porte un lourd bilan environnemental. Alors qu’il était ministre de l’Environnement entre 2012 et 2014, le Québec a autorisé plusieurs projets polluants controversés, comme l’implantation d’une cimenterie ou des forages exploratoires. Le Parti vert n’est pas moins ambivalent dans son discours, ce qui a valu des critiques à Elizabeth May. D’un côté, les hydrocarbures devraient rester dans le sol et cesser d’être importés, mais le pétrole canadien (conventionnel notamment) pourrait être utilisé.

En 2017, le secteur du gaz et du pétrole était responsable de 27 % des émissions, selon l’inventaire canadien des émissions de GES publié en avril 2019. « C’est difficile pour un chef de parti de dire qu’il veut sortir le pays des hydrocarbures, car ils sont au cœur de l’économie », souligne Bertrand Schepper. A fortiori dans les régions productrices comme l’Alberta, qui fournissait 80 % du bitume canadien en 2017. Les autres étant les provinces maritimes et de l’Ouest, où l’électorat conservateur est plus fort.

De l’autre côté, les provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique sont généralement reconnues comme plus vertes grâce à leurs ressources. Elles continuent cependant à bénéficier du pétrole et du gaz des régions productrices. L’énergie est au cœur des tensions interprovinciales, que la question climatique ne fait qu’aggraver. « Le Canada s’est construit sur l’exploitation des ressources naturelles », précise Maya Jegen pour justifier la situation. Car ce ne sont pas seulement les hydrocarbures qui sont en jeu. Les mines, les sablières et la foresterie sont aussi des industries très importantes.

Les tensions sont également intraprovinciales. Selon Bertrand Schepper, la population est prise dans la dualité entre écologie et économie. L’attrait pour le développement et la création d’emplois est encore bien ancré, malgré le plein-emploi. D’autant que ces industries sont généralement implantées dans les régions les plus isolées. En Abitibi-Témiscamingue, au Québec, les mines sont le moteur économique régional, les salaires annuels pouvant atteindre 100 000 dollars. Parce qu’aucune alternative n’est proposée, les projets d’exploitation des ressources sont encore perçus comme des aubaines de redynamisation. De même pour le transport, qui est le deuxième secteur le plus polluant. Les grandes distances, les conditions climatiques et l’absence de transports en commun peuvent rendre le 4×4 nécessaire.

« Cependant, la situation évolue », estime le sociologue de l’environnement René Audet. La mobilisation du 27 septembre a mobilisé jusque dans les villes moyennes et plus reculées. Selon un sondage de l’Angus Reid Institute, 70 % de la population estime que les changements climatiques devraient être une priorité pour le prochain gouvernement fédéral.

On retrouve la même mobilisation parmi les Premières Nations, pour qui la question environnementale a toujours été sociale. Elles doivent cependant concilier la défense du territoire et de leurs droits ancestraux avec leurs conditions de vie et leur marginalisation. « Chaque projet [d’exploitation] est discuté en fonction des impacts humains et environnementaux, et n’est pas forcément refusé », détaille Lucien Wabanonik, du Conseil de la nation Anishnabe de Lac-Simon, en affirmant tout de même que « tout projet est colonisateur ». Le système hydroélectrique actuel est d’ailleurs le résultat d’une entente entre autochtones et gouvernements provinciaux.

Parallèlement, des petits groupes militants citoyens se forment de plus en plus pour bloquer des projets extractivistes. Des combats relayés jusqu’au niveau fédéral par les organisations environnementales. Parfois, des alliances se forment entre allochtones et autochtones, comme c’est le cas en Colombie-Britannique contre Trans Mountain ou au Québec contre Énergie Saguenay, deux projets d’exportation d’hydrocarbures. L’occasion pour les candidats du Parti vert de remporter des sièges au Parlement, à l’instar de leurs homologues européens.


Justin Trudeau sera-t-il reconduit ?

Tous les quatre ans, les Canadiens votent pour les élections fédérales afin d’élire leurs représentants à la Chambre des communes. Le chef du parti politique qui obtient le plus de sièges devient alors le chef du gouvernement. Lors du précédent scrutin, le Parti libéral de Justin Trudeau avait remporté 184 sièges sur 338, ce qui lui avait conféré une majorité. Selon un sondage mené par Abacus Data, l’équipe du Premier ministre sortant est toujours au coude-à-coude avec celle du conservateur Andrew Scheer, à environ 32 %. Mais « les gains du NPD [entre 18 et 20 %] et du Bloc [6 %] se sont jusqu’ici faits aux dépens des libéraux et des conservateurs en rendant leur chemin vers un gouvernement majoritaire plus difficile et en ajoutant de l’incertitude sur l’issue de cette élection », a commenté le sondeur David Coletto.

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