Gilets jaunes, un après, une colère intacte

Un an après le début du mouvement, les manifestants se font plus rares mais Macron n’a rien résolu de la fracture révélée par les ronds-points.

Michel Soudais  • 30 octobre 2019 abonné·es
Gilets jaunes, un après, une colère intacte
© Norbu Gyachung/Unsplash

Les gilets jaunes ont encore manifesté samedi dernier, avec ou sans leur chasuble fluorescente, pour l’« acte 50 » d’un mouvement qui aura un an le 17 novembre. Mais à Saint-Étienne, où une manifestation « nationale » était annoncée, à Bordeaux, Toulouse, Paris, Lille ou Épinal, ils n’étaient à chaque fois que quelques centaines, se mêlant parfois aux rassemblements de soutien aux Kurdes ou aux Chiliens. Ou aux écologistes rassemblés à Sivens (Tarn) sur les lieux où, voici cinq ans, Rémi Fraisse avait été tué lors d’affrontements entre forces de l’ordre et opposants au barrage. « Il y a moins de monde de samedi en samedi », déplorait un manifestant parisien.

De moins en moins nombreux à battre le pavé, ceux qui, en réponse à la sortie méprisante d’Emmanuel Macron sur les « gens qui ne sont rien », avaient enfilé un gilet jaune pour être visibles ne sont plus comptabilisés par le ministère de l’Intérieur. La visibilité que leurs rassemblements sur des ronds-points aux quatre coins du pays et les marches hebdomadaires, ponctuées d’actions spectaculaires, leur avaient donnée six mois durant, s’est dissipée. Pour autant, le mouvement n’a pas disparu.

La lassitude de défiler tous les samedis l’a emporté. La crainte aussi d’une répression sans égale depuis les origines de la Ve République : deux décès, des blessés par centaines, dont 24 éborgnés et 5 mains arrachées, en raison des armes employées pour maintenir l’ordre ; près de 2 000 condamnations dont la moitié à de la prison ferme… Mais la mobilisation décentralisée depuis l’origine, hétérogène, perdure sous d’autres formes, plus locales. Et la colère qu’elle a mise au jour reste intacte.

Dans un sondage Odoxa rendu public sur France Inter en début de semaine, 76 % des personnes interrogées estiment que le mouvement des gilets jaunes est loin d’être terminé : pour 33 % ils se poursuit, pour 43 % il s’est arrêté temporairement mais va reprendre. Car ce ne sont pas les maigres concessions accordées par Emmanuel Macron, à l’issue de son « grand débat », qui sont susceptibles d’y mettre un terme. Rappelons que celles-ci vont d’une baisse de l’impôt sur le revenu des classes moyennes de cinq milliards d’euros à l’assouplissement du référendum d’initiative partagée (envisagé dans le cadre de la réforme constitutionnelle interrompue par l’affaire Benalla et à ce jour encore dans les cartons, et dont l’échéance n’est pas arrêtée), en passant par la réindexation sur l’inflation des retraites inférieures à 2 000 euros (compensée par des économies sur le budget de la santé) ou la mise en place d’une convention citoyenne sur le climat.

« Aucune réponse politique crédible n’a à ce jour été proposée », affirment quatre figures des gilets jaunes dans une lettre ouverte au président de la République publiée le 28 octobre. Dans cette missive, Priscillia Ludosky, Jérôme Rodrigues, le chef d’entreprise Fabrice Grimal et le militant associatif Faouzi Lellouche demandent à le rencontrer « avant le 16 novembre », notamment pour lui « remettre en mains propres le manifeste du “vrai débat” », la plateforme de revendications créée par les gilets jaunes en opposition au grand débat national organisé par le gouvernement, qui « a recueilli un million de votes » et fait émerger 59 propositions phares. « Vos annonces témoignent de l’absence de prise en compte des revendications qui s’y trouvent », écrivent-ils. Celles-ci concernent quatre grands thèmes : la « transformation profonde du système politique », le « renforcement du service public », la « justice fiscale » et une « écologie solidaire, accessible ».

Qui aurait imaginé, il y a un an, que l’irruption populaire inattendue, née sur les réseaux sociaux en réaction à la hausse du prix des carburants, étendrait par une sorte d’auto-éducation populaire sa critique politique à autant de domaines ? Mettrait en difficulté le gouvernement plus que ne sont parvenus à le faire les mouvements sociaux traditionnels ? Et révélerait la nature brutale et autoritaire de la Macronie ?

Alors que le feu couve encore sous la braise, l’entrée en vigueur au 1er novembre de la réforme de l’assurance chômage, dont le premier effet sera d’accroître la pauvreté, ainsi qu’une réforme des retraites non moins injuste, que le chef de l’État veut « sans faiblesse » mener « au bout », confortent dans les profondeurs du pays l’idée que décidemment Macron n’a rien appris. Que la concertation qu’il a dit vouloir instiller dans « l’acte 2 » de son quinquennat n’est qu’un nouveau leurre. Le carburant d’une re-mobilisation.