La nouvelle architecture de la SNCF : un pouvoir très centralisé

Mélanges public-privé, montages opaques, dégradation des conditions de travail : la SNCF fait peau neuve, mais pas pour le mieux…

Erwan Manac'h  • 2 octobre 2019 abonné·es
La nouvelle architecture de la SNCF : un pouvoir très centralisé
© crédit photo : Christian Zachariasen/AFP

Une holding toute-puissante

Les services de l’État ont mandaté la banque ­d’affaires belge Degroof Petercam pour transformer les trois établissements publics en quatre sociétés anonymes sous la gouvernance d’une cinquième. La holding de tête sera plus autonome vis-à-vis du Parlement (notamment pour définir son mode de management) et sa dette ne bénéficiera plus de la garantie illimitée de l’État, ce qui pouvait être interprété par la Commission européenne comme une aide contraire à la libre concurrence.

Les avocats de ladite libre concurrence dénoncent cependant les pouvoirs importants de la holding, qui pourrait freiner, selon eux, l’arrivée d’entreprises privées. C’est en effet SNCF Réseau qui autorisera à circuler les concurrents de SNCF Voyageurs. Une position acrobatique qui n’a pas empêché SNCF Réseau de démarcher en 2019 les concurrents potentiels.

© Politis

Les syndicats ont déclenché, le 25 septembre, une procédure de « droit d’alerte économique » après lecture d’un rapport d’expertise du cabinet Digest qui interroge le modèle économique et le financement de la future machine, qui n’aura pas le droit de présenter des déficits excessifs. Ils dénoncent l’« opacité » du montage et craignent pour certains une « privatisation rampante » si les actions des SAS devaient perdre le verrou d’incessibilité, comme c’est le cas aujourd’hui pour Aéroports de Paris.

SNCF Voyageurs

L’ancienne SNCF Mobilités change de nom et perd sa branche Fret SNCF (lire ici). Elle reste étroitement liée à la holding et aborde des années de fortes secousses avec l’entrée de concurrents sur le transport de voyageurs. La direction se fonde sur l’hypothèse optimiste d’une perte de 4 % de parts de marché, à condition qu’elle réduise son écart supposé de compétitivité de 27 %. Cela suppose des suppressions de postes, de la polyvalence et une segmentation des prix pour coller au meilleur prix que chaque voyageur est prêt à débourser à un instant T, quitte à rendre la gamme tarifaire illisible. Elle tire également un bilan très positif de la stratégie de gammes mise en place avec sa filiale low cost Ouigo, organisant sa propre concurrence, qui a selon elle permis l’augmentation du trafic. Ce sera son principal atout pour éviter d’être « disruptée » par des concurrents, avec la renégociation à la baisse des conditions d’emploi.

SNCF Réseau, la gestion à l’économie

Le gestionnaire des rails et des infrastructures concentre tous les coûts (faramineux) de l’industrie ferroviaire et supporte une dette de 53 milliards d’euros à la fin de l’année 2019, résultat de décennies de grands travaux ferroviaires non financés. Un jeu d’écritures va le délester de la moitié de cette dette au 1er janvier 2020 et de 10 autres milliards en 2022. SNCF Réseau sera ainsi soulagé d’1 milliard d’intérêts d’emprunts par an. Mais le problème de fond (et de fonds) ne sera pas pour autant résolu, à moins d’un tri drastique entre les lignes qui méritent d’être rénovées et les autres. La loi interdit à SNCF Réseau de financer des travaux dont le retour sur investissement attendu n’est pas suffisamment rentable. Cela menace directement les petites lignes, même si la rentabilité de ces dernières devrait être favorisée par des péages plus faibles que sur les sillons très prisés.

Gares et connexions, la machine à cash

Les gares sont désormais propriété de l’État, mais la gestion de ces lieux en plein cœur des villes est confiée à une société indépendante qui génère des taux de marge bien supérieurs aux autres activités du groupe, même si le chiffre d’affaires en jeu est moindre. Les actions de Gares et connexions devraient être cessibles, au même titre d’ailleurs que Fret SNCF, ce qui présente pour les syndicats un risque de privatisation. Le mélange du public et du privé est déjà la norme lors des grandes opérations de rénovation de gares. Comme pour le chantier de la gare du Nord, à Paris, sur lequel la SNCF est alliée avec le groupe Mulliez (Auchan). Les premières ébauches ont déclenché la colère d’un groupe d’architectes, qui dénonce une transformation du lieu de passage en centre commercial, avec des usagers contraints de passer par une galerie marchande.

Économie
Publié dans le dossier
SNCF : Au bord de la falaise libérale
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