#MeToo : ces femmes qu’on ne saurait entendre

Après deux ans et des poursuites en diffamation, la journaliste Sandra Muller a été reconnue coupable et condamnée à verser 20 000 euros à Éric Brion. Une procédure bâillon ?

Agathe Mercante  • 2 octobre 2019 abonné·es
#MeToo : ces femmes qu’on ne saurait entendre
photo : Sandra Muller.
© JACQUES DEMARTHON / AFP

T u as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. » Sympa et élégant, non ? Mais pas du goût de Sandra Muller, journaliste à La Lettre de l’audiovisuel, qui avait, en 2017, permis la libération de la parole à la suite de l’affaire Weinstein. Après le lancement du hashtag #MeToo sur les réseaux sociaux américains, elle avait révélé les propos d’un homme, Éric Brion, ex-patron de la chaîne Equidia. Sous le mot-dièse #BalanceTonPorc, elle avait dénoncé le « harcèlement » dont elle avait été victime. Deux ans et des poursuites en diffamation plus tard, la journaliste a été reconnue coupable et condamnée à verser 20 000 euros au plaignant.

Sur le fond, la condamnation est justifiée : Éric Brion, qui n’a jamais été le supérieur de Sandra Muller et n’a pas répété ces propos outrageants, n’est en effet pas coupable de harcèlement au sens de l’article 222-33 du code pénal. Voilà pour le droit. Mais qu’en est-il de la forme et du message envoyé ? « Ça va changer tout internet », s’est félicité Me Marie Burguburu, avocate d’Éric Brion, qui assure qu’on ne pourra désormais plus dénoncer et calomnier sur les réseaux sociaux. Mais était-ce le procès des réseaux sociaux ? Critiquables à bien des égards, ne sont-ils pas pourtant l’un des seuls lieux d’expression pour ces affaires, quand en France, en 2018, le taux de plaintes concernant les violences sexuelles ne représente que 10 % des actes commis (1) ?

Outre le message envoyé à celles qui oseraient dénoncer des agissements, quand bien même ils ne seraient pas qualifiables de « harcèlement », le montant des réparations demandées interroge. Ne sommes-nous pas sur des cas analogues aux procédures bâillons engagées par les multinationales à l’encontre des lanceurs d’alerte et des journalistes ? Quand on sait qu’une femme, en France, gagne en moyenne 18,5 % de moins qu’un homme (2), ne peut-on pas envisager que la menace d’un procès onéreux et d’une lourde condamnation ne la réduise au silence ? De la « drague lourde » – comme veut bien le reconnaître Éric Brion – au harcèlement sexuel, n’y a-t-il pas qu’un pas ? Dans bien des situations, les femmes sont réduites à des corps. Et dans ce cas précis, Sandra Muller (qui va faire appel de sa condamnation) fait aussi office de porte-monnaie.


(1) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

(2) Insee, Observatoire des inégalités.

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