« On veut fatiguer les familles »

La sœur de Wissam, mort lors de son interpellation en 2012, témoigne de son combat pour la justice et contre l’oubli.

Oriane Mollaret  • 23 octobre 2019 abonné·es
« On veut fatiguer les familles »
© Le 17 mars 2012, à Clermont-Ferrand, mobilisation pour réclamer justice et vérité pour Wissam El-Yamni.THIERRY ZOCCOLAN/afp

Le 1er janvier 2012, vers 3 heures du matin, Wissam El-Yamni, un chauffeur routier de 30 ans, est arrêté pour avoir jeté une pierre sur une voiture de police. Après une violente interpellation, le jeune homme est retrouvé inanimé dans le commissariat de Clermont-Ferrand. Il décédera après neuf jours de coma. Depuis, sa sœur Marwa et son frère Farid se battent pour obtenir justice, mais l’affaire patine.

Marwa

« Au début, on nous a dit que Wissam avait été retrouvé sur un banc, après on nous a dit que c’était une bagarre qui avait mal tourné… Comme il y a eu des émeutes dans le quartier, les policiers ont été obligés de dire la vérité, mais ils ont pu travailler pendant une journée à effacer tout ce qu’ils voulaient. Au début, on avait confiance, on se disait que la juge allait faire son enquête… Mais, petit à petit, on a vu qu’il n’en était rien. Les policiers ont tout fait pour criminaliser la victime. Ils ont dit que c’était un délinquant, qu’il avait bu, qu’il avait fumé, que c’étaient les gars du quartier qui avaient foutu la merde… Et puis ça a été le combat des expertises. À chaque fois qu’il y a une expertise, il y a une contre-expertise. On a été obligés de payer des analyses pour démonter des expertises faites pour aboutir à un classement sans suite. On veut fatiguer les familles. Toutes n’ont pas forcément les moyens de financer ces contre-expertises.

Ça va faire huit ans qu’on se bat pour obtenir justice pour Wissam. Aujourd’hui, on en est au quatrième juge d’instruction et à la quatrième expertise. En attendant, ils n’ont absolument rien fait d’autre. Pas de reconstitution, pas d’autres auditions… On demande depuis très longtemps que des témoins soient entendus. Seule une juge d’instruction a mis les policiers en examen, en 2015, mais elle a été tout de suite envoyée ailleurs et la mise en examen a été levée.

Or la dernière expertise rendue en février nous donne raison. Elle dit que Wissam est bien mort des suites de l’intervention d’un tiers, après, bien sûr, qu’on a démonté les allégations de malformation cardiaque, de fractures dont Wissam aurait ignoré l’existence, d’alcool et de drogue… Aujourd’hui, d’après les avocats, la juge d’instruction ne peut pas prononcer un non-lieu parce qu’un tiers est bien responsable de la mort de Wissam. Donc elle a décidé de ne rien faire, elle freine des quatre fers.

Au début, il y avait énormément de personnes : il y a eu les émeutes, une marche avec 15 000 personnes, un comité Vérité et justice pour Wissam a été mis en place… Le Comité Wissam est en lien avec tous les autres comités, on essaie de s’entre-aider. Les syndicats de police et la préfecture sont tellement forts que nous arrivons difficilement à nous faire entendre. Aujourd’hui, on organise régulièrement des marches et des événements pour que la justice fasse son boulot et que les médias puissent un peu relayer l’information, afin que la juge réagisse. On ne veut pas tomber dans l’oubli. »