Arménie, Artsakh : Paris n’aime pas les chartes d’amitié

Depuis quelques mois, les préfectures attaquent les municipalités françaises qui ont conclu des liens avec l’Artsakh.

Patrick Piro  • 13 novembre 2019 abonné·es
Arménie, Artsakh : Paris n’aime pas les chartes d’amitié
© Un panneau indiquant les villes françaises ayant conclu des chartes d'amitié avec l'Artsakh, à Martakert.Patrick Piro

Le 18 octobre dernier, le tribunal administratif de Lyon annulait la charte d’amitié conclue en 2015 entre Villeurbanne et la petite commune de Chouchi en Artsakh. Le rapporteur public avait pourtant jugé « incongru et contraire aux règles du contrôle de légalité » que le préfet du Rhône, demandeur, puisse « se raviser », n’ayant opposé aucune objection à l’époque. Mais, par une étonnante contorsion, le tribunal a quand même donné satisfaction à la requête, constatant le refus du maire d’abroger cette charte de lui-même ! Car signée « en méconnaissance des engagements internationaux de la France, ce qui est contraire à la loi ».

C’est la huitième annulation du genre, toutes ayant été prononcées depuis juin dernier, sur la quinzaine de chartes conclues à ce jour depuis 2013 (1). L’État ne s’en était guère ému jusqu’à l’offensive déclenchée conjointement en mai 2018 par les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur, sous la forme d’une longue circulaire demandant aux préfets de contrôler l’action extérieure des collectivités territoriales. En clair : la conclusion de « chartes d’amitié » avec -l’Artsakh contrevient à la position de la France, qui ne reconnaît pas cette république autoproclamée.

Dans les communes, on se pince : les liens locaux avec des peuples au statut étatique non reconnu par la France – Palestine, Taïwan, Chypre, etc. – n’ont jamais suscité un tel assaut. « Au conseil municipal de Vienne comme au conseil départemental de l’Isère, la charte n’a fait l’objet ni de délibération ni de document officiel, pour éviter précisément de se retrouver en porte-à-faux, s’offusque Patrick Curtaud, élu des deux assemblées. Comment prétendre qu’avec ces chartes purement déclaratives, nous faisons de la politique étrangère ? Sur quel motif nous interdire d’être ami avec qui l’on veut ? » Au moins cinq de ces annulations sont contestées en appel.

Une source diplomatique tente d’expliquer cette « logique politico-administrative » par le fait que « l’ambiance n’est plus à l’auto-détermination des peuples ». Les élus locaux avancent une explication plus prosaïque : « Les énormes pressions économiques exercées par l’Azerbaïdjan », souffle Patrick Curtaud. Pays pétrolier, c’est un allié stratégique de la France où il compte des amis actifs (Rachida Dati, Jean-François Mancel, Thierry Mariani, etc.) peu gênés par le régime dictatorial d’Ilham Aliyev. L’Azerbaïdjan est également un débouché pour les armes. En dépit d’un embargo international, en raison du conflit avec l’Arménie, la France lui en a vendu pour près de 150 millions d’euros entre 2012 et 2016 (2). Que valent les garanties que ces équipements ne serviront pas dans le cadre du conflit ?

La diplomatie azerbaïdjanaise en France s’est montrée très réactive dans la défense de ses intérêts. Une escarmouche nationale a eu lieu en 2016 quand le député UDI François Rochebloine, soutien indéfectible de l’Arménie et de l’Artsakh, a sollicité une commission d’enquête sur les liens entre Paris et Bakou. L’ambassadeur d’Azerbaïdjan est intervenu auprès du président du groupe UDI, arguant qu’une telle initiative « nuirait gravement » aux liens entre les deux pays. La commission des Affaires étrangères s’en est mêlée, et le député n’obtiendra finalement qu’une mission d’information, de moindre portée.

Plusieurs élus ont été informés par le canal diplomatique avoir été inscrits sur la liste noire des personæ non gratæ en Azerbaïdjan. À Bourg-lès-Valence, qui a conclu une charte d’amitié avec Chouchi, la maire (LR) Marlène Mourier a reçu en 2016 une sommation de l’ambassadeur d’Azerbaïdjan à cesser toute relation d’amitié et de coopération avec l’Artsakh. Le maire de Vienne avait reçu un courrier comminatoire du même genre en 2014. La Lettre A, « le quotidien de l’influence et des pouvoirs », relatait, le 15 juillet dernier, l’activité déployée depuis 2015 par le cabinet d’avocats Pardo Sichel et associés, conseil de l’Azerbaïdjan, non seulement par des mises en demeure adressées aux collectivités locales ainsi qu’aux préfectures (pour agir), mais aussi par des demandes de « clarification » auprès du ministère des Affaires étrangères quant à cette « diplomatie » des maires. Avec une efficacité visible…

(1) Par des communes d’Auvergne-Rhône-Alpes, d’Île-de-France et de Paca, qui ont historiquement accueilli de nombreux migrants arméniens, ainsi que par le département de l’Isère.

(2) Son troisième marché parmi les pays sous embargo, après la Chine et la Russie (rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, 2017).

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