« K contraire », de Sarah Marx : La liberté sans choix

Dans K contraire, Sarah Marx montre un jeune homme sortant de prison sans autre possibilité que de retomber dans la délinquance.

Christophe Kantcheff  • 22 janvier 2020 abonné·es
« K contraire », de Sarah Marx : La liberté sans choix
©Le jeu d’Alix Manenti et de Sandor Funtek rappelle l’« effet de naturel » du cinéma de Ken Loach. LES VALSEURS DISTRIBUTION

Voici un de ces films dont on sent qu’ils sont le fruit d’une nécessité. Ils ne sont pas si nombreux. Un film sans grand financement, mais dont l’esthétique est en cohérence avec son économie – c’est l’essentiel. Et avec des producteurs, Hamé et Ekoué, les rappeurs de La Rumeur, qui ne sont pas entrés dans le monde du cinéma par hasard ou pour ses rétributions sociales, mais avec une démarche volontaire et politique. Hamé et Ekoué sont de vrais producteurs avec le goût du risque. Ils forment un pôle d’attraction qui attire des projets, peuvent être tour à tour cinéastes (Les Derniers Parisiens), producteurs et/ou coscénaristes, comme c’est le cas ici, avec Sarah Marx, réalisatrice de K contraire, son premier long-métrage.

Ulysse (Sandor Funtek) est un jeune homme sortant de prison. Il recouvre la liberté. Mais de quelle liberté s’agit-il ? Pour Ulysse, elle est grandement contrainte. Il va en effet devoir faire face à la situation de sa mère (Sandrine Bonnaire), dont l’état dépressif exige une aide à domicile coûtant 2 500 euros par mois. Autant dire qu’Ulysse, de condition modeste et sans formation solide, se retrouve dans l’obligation de gagner pas mal d’argent, qu’il ne peut obtenir seulement avec un boulot légal.

Il y a d’abord cela, dans K contraire, un point de vue sur une situation qui offre peu d’alternatives et où la responsabilité individuelle se confronte au besoin. Ulysse, à peine sorti de prison, replonge. Avec son ami David (Alexis Manenti), il est partie prenante d’une combine. De la drogue – la kétamine – est ajoutée à la bière qu’ils vont vendre lors d’une fête. Si l’affaire tournait mal, Ulysse serait en état de récidive et risquerait donc une peine plus lourde que la précédente, mettant en péril sa mère autant que lui-même. La liberté dont il peut de nouveau jouir s’appelle en vérité un leurre.

Ou un piège. Comme l’autonomie des auto-entrepreneurs, tant vantée pourtant par l’économie néolibérale, dont Ken Loach a montré dans son dernier film, Sorry, We Missed You, la mécanique délétère. Cette référence au cinéaste britannique se justifie d’autant plus que la manière de Sarah Marx (un nom prédestiné !) y fait aussi songer. À l’épaule, au plus près des personnages, la caméra est en immersion, en prise directe avec l’instant présent, comme dans un documentaire. C’est manifeste dans la longue séquence de la rave, où plusieurs personnages aux intérêts divergents tournent autour de la baraque où Ulysse et David font leur commerce de bière frelatée, tandis que la fête bat son plein. Tout semble pouvoir arriver.

Le jeu des comédiens rappelle aussi l’« effet de naturel » si caractéristique du cinéma loachien. Sandor Funtek est très convaincant dans la peau d’Ulysse, tandis qu’Alexis Manenti a le même abattage que dans Les Misérables, bien que dans un rôle moins important. On est heureux de voir Sandrine Bonnaire, parfaite en mère dépressive, dans une telle aventure, elle qui, depuis quelque temps, opte pour des films plus risqués (Une saison en France, de Mahamat Saleh Haroun ; Prendre le large, de Gaël Morel). On remarque également d’autres comédiens, comme Lauréna -Thellier, qui impose sa présence à l’écran en agricultrice trafiquante.

K contraire évite aussi certains clichés. Ulysse et David ne participent pas à une affaire de petits voyous mais sont les rouages d’un réseau de drogue plus vaste, avec des personnages « respectables », dont un vétérinaire. Quant aux relations entre Ulysse et sa mère, Sarah Marx les traite avec justesse et sans facilités, montrant la maladie de l’une, la charge que cela représente pour l’autre, les frictions, l’incompréhension, et en même temps la tendresse qui déborde, même si celle-ci a du mal à s’exprimer. C’est par amour pour sa mère qu’Ulysse n’a d’autre choix que d’être délinquant. K contraire dresse le portrait d’une certaine jeunesse dont les rêves n’ont pas lieu d’être.

K contraire, Sarah Marx, 1 h 23.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes