« La Fille au bracelet », de Stéphane Demoustier : La place de la parole

La Fille au bracelet, de Stéphane Demoustier, est un film de procès qui, au-delà de la culpabilité ou non de l’adolescente accusée de meurtre, montre avec subtilité les effets d’un tel événement sur elle et sa famille.

Christophe Kantcheff  • 12 février 2020 abonné·es
« La Fille au bracelet », de Stéphane Demoustier : La place de la parole
© Roschdy Zem et Chiara Mastroianni sont dans une retenue qui n’empêche pas l’expression des émotions.MATTHIEU PONCHEL/LE PACTE DISTRIBUTION

Une plage, un jour de soleil, une famille filmée de loin. Moments de détente, d’insouciance. Ce seront les seuls du film. Car rapidement des policiers entrent dans le champ. Ils viennent chercher la fille aînée, 16 ans, Lise Bataille (Mélissa Guers). La vie des membres de cette famille bascule.

On les retrouve deux ans plus tard, une fois l’instruction achevée, glissée dans une ellipse. Lise va devoir répondre aux assises de l’accusation du meurtre de sa meilleure amie. Celle-ci avait été découverte horriblement assassinée dans sa chambre, au lendemain d’une fête. Lise avait dormi avec elle, mais, prétend-elle, s’était réveillée la première et était partie chercher son petit frère à l’école, laissant seule son amie, qui fut donc retrouvée morte quelques heures plus tard.

Il faut croire que Stéphane Demoustier a une inclination pour les échanges entre des personnages qui se tiennent chacun à une place déterminée, délimitée. Son premier long métrage, Terre battue (2014), mettait en scène un enfant apprenti champion de tennis, un sport où les joueurs restent de chaque côté du filet. La Fille au bracelet est ce qu’on appelle un film de procès. Dans un tribunal, les conditions de prise de parole ne peuvent être plus formalisées, assignées, pour tout le monde : en l’occurrence, le président, l’accusée, l’avocate générale, les conseils et les témoins.

Le cinéaste filme ces séquences avec une sobriété remarquable. Pas d’effets de manche, de lyrisme ou de coup de théâtre : l’exercice de la justice est ici précis, technique, presque froid. La scène où l’on brise les scellés d’une pièce à conviction est parmi les plus emblématiques de la manière dont ce procès est mis en scène : sans fioritures. Cette impression est renforcée par le choix du tribunal – celui de Nantes : un bâtiment à l’architecture contemporaine, tout en lignes horizontales et verticales, épurée.

Cette économie de moyens est bienvenue, car il serait inutile de surligner la dramaturgie que tout procès induit et qui repose sur cette question : l’accusée est-elle coupable ou non ? Le -scénario alterne éléments à charge et à décharge, entretenant discrètement le suspense entre suspicion et marques d’innocence. Le cinéaste ne sollicite pas l’empathie facile du spectateur avec Lise : celle-ci n’est pas forcément sympathique. En outre, elle ne défend pas toujours parfaitement sa cause. Son père (Roschdy Zem) le lui fera remarquer – ne comprenant pas qu’elle reste silencieuse quand on lui demande ce qu’elle ressent à la vue des photos du cadavre de son amie. De manière générale, les instances judiciaires supportent mal le mutisme. Elles nécessitent, exigent de la parole, et requièrent de Lise qu’elle mette des mots y compris sur ce qu’elle ne sait pas expliquer ou signifier.

Au cours des débats, chacun tient sa partition avec sa propre personnalité. Le président (-Pascal-Pierre Garbarini, acteur non professionnel puisqu’avocat dans le réel) est pédagogue. L’avocate (Annie Mercier), professionnelle expérimentée, argumente avec une intelligence tranquille. Tandis que l’avocate générale (Anaïs Demoustier, qui par ailleurs est la sœur du cinéaste) compense sa jeunesse par des postures agressives et moralisatrices qui l’entraînent vers des hypothèses parfois hasardeuses. Celle-ci est littéralement remise à sa place – encore cette notion – lors d’un échange avec la mère de Lise (Chiara Mastroianni), qui cherche à disculper sa fille : « On pourra vous objecter que vous êtes aussi affirmative parce que vous parlez de votre fille », lance la première. « On pourra également vous objecter que vous doutez de ce que je dis parce que vous êtes l’avocate générale », rétorque la seconde.

Cependant, La Fille au bracelet déborde le cadre du simple film de procès et donne à voir les effets de l’arrestation de Lise sur elle-même et les siens. Le père témoigne de la manière dont sa fille, qui était enjouée, s’est renfermée. La mère dit que, depuis que Lise fait l’objet d’une enquête, devenue obsédante, tentaculaire, les seuls moments de joie ont été ceux où elle s’amusait avec son petit frère (Paul Aïssaoui–Cuvelier). Le couple que forment les parents semble lui-même désarticulé, filmé non pas dans l’antagonisme mais comme si un ressort s’était cassé. S’ils sont encore solidaires et en soutien de leur fille, on les sent davantage côte à côte que véritablement unis. Tous les comédiens sont absolument remarquables, dans une retenue qui n’empêche pas, bien au contraire, la manifestation des émotions. Le désarroi est l’une des plus flagrantes.

Il faut dire que le père et la mère vont, au gré du procès, découvrir une grande part de la personnalité de leur fille qu’ils ignoraient. « Que sait-on des adolescents de 16 ou 17 ans ? » interroge l’avocate de Lise au cours de sa plaidoirie. La jeune fille avait une vie sexuelle débridée, avec des garçons et même avec sa meilleure amie. Ces faits, que l’on ne raconte pas à ses parents, sont ici dévoilés au grand jour, en public et dans les pires circonstances.

Le fait que Lise soit accusée de meurtre – qu’elle soit ou non coupable – a une puissance de déflagration sourde . Rien n’est épargné, tous les liens unissant les personnes de la famille sont atteints, la pudeur et l’intimité sont dynamitées. Ce n’est pas l’une des moindres qualités de La Fille au bracelet que de le montrer avec une grande subtilité.

La Fille au bracelet, Stéphane Demoustier, 1 h 36.

Cinéma
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