Sartrouville, le rancard du jeune public

Référence jeunesse, la biennale Odyssées en Yvelines met l’accent pour sa 12e édition sur la pluridisciplinarité. Un riche laboratoire de formes et de récits, et un moment de partage.

Anaïs Heluin  • 5 février 2020 abonné·es
Sartrouville, le rancard du jeune public
© ÉRIC LABBÉ

Le 28 janvier, aux alentours de 8 h 30, un groupe se forme dans un coin du hall de la gare Saint-Lazare, à Paris. À chaque personne qui arrive, une équipe d’accueil remet des billets de spectacle, un dossier et un sac en tissu à l’effigie de la biennale Odyssées en Yvelines. La plupart travaillent à la direction ou à la programmation de théâtres situés un peu partout en France. Une petite partie vient de plus loin, par exemple du Québec ou d’Allemagne.

Si le festival a commencé le 13 janvier, c’est le premier jour des rencontres professionnelles, organisées chaque année par le Théâtre de Sartrouville-CDN, qui porte l’événement. Une fois le groupe équipé, c’est parti pour une journée marathon. Objectif : découvrir les six spectacles pour « l’enfance et la jeunesse » créés pour cette 12e édition, qui s’étend dans tout le département.

Alors qu’elles se jouent le reste du temps dans divers lieux – bibliothèques, salles de classe, centres sociaux… –, les créations d’Odyssées sont, pendant les trois jours professionnels, rassemblées au centre dramatique national. L’affluence lors de ce temps spécial s’explique par le côté pratique de la chose pour les intéressé·es, et par la belle réputation que s’est forgée le festival en douze ans d’existence. Unique en son genre, il est exclusivement constitué de créations originales commandées par Sylvain Maurice, le directeur du Théâtre de Sartrouville, à des artistes aux esthétiques diverses. De nombreux metteurs en scène de renom, tels Stanislas Nordey, Olivier Py ou encore Marcel Bozonnet, se sont déjà prêtés au jeu d’Odyssées. Aux côtés de noms pour l’instant moins connus.

Pour faire de ces Odyssées en Yvelines un acteur important du renouveau de la création dite « jeune public », Sylvain Maurice a décidé, cette année, de «jeter des passerelles entre les différents langages du spectacle vivant». Pour mettre son festival «au cœur des nouvelles pratiques culturelles de la jeunesse, à la conjonction de la culture populaire et de la culture savante », il a fait appel à sept artistes d’horizons très différents. Après des résidences de création dans diverses structures des environs destinées ou non à l’art, ces artistes présentent leur travail aux jeunes et moins jeunes venu·es les découvrir.

La journée commence tout en délicatesse. Inspirée de l’histoire de la chanteuse et comédienne Marie-Pascale Dubé, qui en joue le personnage central, Un flocon dans la gorge, conçu par la comédienne, metteuse en scène et musicienne Constance Larrieu, est une subtile pièce initiatique. À travers le parcours d’une jeune -Québécoise qui pratique sans l’avoir appris le chant de gorge inuit, elle questionne l’histoire de la colonisation au Québec.

Suit une autre proposition mêlant musique et théâtre : Le Joueur de flûte, adaptation du célèbre conte des frères Grimm par le musicien tromboniste et metteur en scène Joachim Latarjet. Accompagné par la comédienne Alexandra -Fleischer, le metteur en scène incarne un joueur de trombone chasseur de rats dans une ville d’aujourd’hui rongée par l’égoïsme et la sur-consom-mation.

À Odyssées en Yvelines, la recherche esthétique va souvent de pair avec une réflexion sur la société ou sur l’identité. C’est un laboratoire dont sortent des formes très différentes bien que toutes légères en matière technique et humaine, afin de pouvoir tourner beaucoup et partout. Les résultats sont inégaux, mais toujours intéressants. Après le succès d’Elle pas princesse, Lui pas héros créé pour l’édition 2016 du festival, l’auteure Magali Mougel et le metteur en scène Johanny Bert reviennent au festival avec un spectacle, Frissons, où la question de l’adoption est abordée par la belle danse de Yan Raballand et Adrien Spone.

Entre hip-hop et dialogue sur la propriété intellectuelle, Le Procès de Goku de la danseuse et chorégraphe Anne Nguyen n’échappe pas à un certain didactisme. Nourri par l’univers de la bande dessinée, Thomas Quillardet questionne de son côté avec humour et bricolages notre goût pour les surhommes. Tandis que le circassien Karim -Messaoudi présente son autoportrait acrobatique. Autant de créations que l’on aura certainement l’occasion de retrouver ailleurs. Car, après Odyssées en Yvelines, la route des spectacles dure en moyenne deux ans. Toute une aventure.

Festival Odyssées en Yvelines, usqu’au 14 mars dans différents lieux des Yvelines, 01 30 86 77 79. http://odyssees-yvelines.com

Théâtre
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