Une Catalane à la Comédie-Française

Avec Massacre, Tommy Milliot fait entrer avec force l’écrivaine Lluïsa Cunillé dans le paysage scénique hexagonal.

Anaïs Heluin  • 19 février 2020 abonné·es
Une Catalane à la Comédie-Française
© Vincent Pontet coll. Comédie-Française

Avec leur compagnie Man Haast, fondée en 2014, le metteur en scène Tommy Milliot et sa dramaturge Sarah Cillaire aiment à dénicher des écritures contemporaines singulières, souvent peu connues. Avec La Règle d’or du cache-cache de Christophe Honoré, Lotissement de Frédéric Vossier, qui lui vaut en 2016 le prix du jury du festival Impatience, Winterreise du Norvégien Fredrik Brattberg ou encore La Brèche de l’Américaine Naomi Wallace, ils explorent des univers très différents mais qui se rejoignent pour la plupart en un point : leur ancrage dans un quotidien en apparence banal, dont les contours rassurants cachent une sombre réalité. Une violence d’autant plus inquiétante qu’elle plane sur l’espace de jeu pour n’éclater que rarement. Massacre,de Lluïsa Cunillé, est un modèle du genre.

La pièce se déroule en un seul lieu : le hall d’un hôtel perdu dans les montagnes d’un pays jamais nommé. Ou plutôt dans la «possibilité d’un salon d’hôtel ou d’une salle d’attente ou encore tout simplement de perspectives, c’est-à-dire des lignes de fuite qui prendront sens grâce à la lumière, que j’imagine comme une matière visible», explique Tommy Milliot dans le livret de présentation du spectacle. La propriétaire du lieu, une certaine D, et son unique cliente, que l’auteure désigne par la lettre H, y cohabitent. -L’établissement est au bord de la faillite. Pour le fermer, D attend le départ de H, qui s’entête à rester malgré des invitations de plus en plus explicites à faire le contraire. Dans Massacre, l’étrange et le malaise se logent dans presque rien.

Sylvia Bergé et Clothilde de Bayser incarnent les deux protagonistes du huis clos catalan avec une économie de gestes et d’expressions au diapason de l’écriture de la pièce. Pleine de sous-entendus et de silences, celle-ci progresse dans le bizarre à coups de détails moins insignifiants qu’il n’y paraît. Lors de scènes qui ne durent que le temps nécessaire à H pour boire un café, il est question d’un étui à lunettes perdu, d’un pneu crevé, de promenades dans le village le plus proche… Jusqu’à l’irruption d’un troisième personnage (Nâzim Boudjenah), qui semble être la conséquence de tous les petits incidents de Massacre.

Parfaitement orchestrée par Tommy Milliot, qui prouve là une aussi belle intelligence en matière de construction de l’espace que de direction d’acteurs, cette pièce est une découverte réjouissante. D’autant plus que Lluïsa Cunillé, considérée dans son pays comme l’une des plus grand·es auteur·es de théâtre contemporains, n’avait jamais été montée en France. Son traducteur, Laurent Gallardo, nous apprend que son œuvre ne compte pas moins de quarante-cinq pièces écrites en catalan et en castillan. À quand la suite ?

Massacre,Studio de la Comédie-Française, galerie du Carrousel du Louvre, Paris-Ier, jusqu’au 8 mars, 01 44 58 15 15, www.comedie-francaise.fr

Théâtre
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