La France continue de retenir et d’expulser, le Conseil d’État saisi

Cinq organisations ont saisi la juridiction administrative suprême pour demander la fermeture provisoire des centres de rétention administrative.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 25 mars 2020
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La France continue de retenir et d’expulser, le Conseil d’État saisi
© PHOTO : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

N ous demandons la fermeture temporaire des centres de rétention administrative et ce, jusqu’à la levée des mesures de confinement, explique David Rohi, responsable rétention à la Cimade. Depuis le début de la crise sanitaire, les mesures barrières de protection adaptées n’ont jamais été mises en place et le fait que les centres continuent de fonctionner exposent non seulement les personnes qui y sont enfermées, mais aussi les policier·es et les personnels qui interviennent pour le ménage, la blanchisserie ou la cuisine. » Depuis le 13 mars, l’association ne cesse de réclamer la fermeture des CRA, rappelant inlassablement qu’une personne étrangère, n’ayant commis aucune infraction, ne pouvait être retenue qu’en vue d’une expulsion. Hors, depuis plus d’une semaine, les mesures d’éloignement sont quasiment rendues impossibles au vu de la fermetures des frontières.

Une «privation de liberté illégale»

Dans une tribune, publiée vendredi 20 mars dans le quotidien Le Monde, le défenseur des droits, Jacques Toubon, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, et le Président de de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Jean-Marie Burguburu, ont durement condamné le maintien en rétention observé dans les CRA, les considérant «illégaux» :

Dans un contexte de réduction drastique des vols internationaux, la perspective de reconduite des personnes retenues n’est plus envisageable à court terme ; dès lors la mesure de rétention elle-même se trouve dépourvue de fondement juridique car la loi n’autorise la rétention que pour la préparation d’un éloignement. Le maintien d’étrangers en rétention n’est donc pas seulement une prise de risque, c’est aussi une privation de liberté illégale.

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Dans cette même tribune, les autorités administratives ont déploré des conditions de rétention qui ne respectent pas les directives sanitaires, puisque « l’hébergement est organisé dans la promiscuité, la restauration collective est maintenue et toute protection, tant de la population retenue que des fonctionnaires de police, fait défaut. » Sans parler du manque d’information, participant à nourrir l’angoisse des personnes retenues « qui savent qu’elle ne peuvent pas se confiner et se retrouvent, de fait, très exposées », ajoute David Rohi.

Requête au Conseil d’État

Face à un ministère de l’Intérieur qui préfère garder le silence, cinq organisations ont saisi le Conseil d’État, lundi 23 mars, pour demander la fermeture des centres de rétention administrative. Aux côtés de la Cimade, le Groupe d’information et de soutien des immigré·es (Gisti), l’Association des avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Conseil national des barreaux vont plaider, ensemble, auprès de la plus haute juridiction pour une _« fermeture de tous les centres de rétention » et la suspension provisoire « de l’arrêté ministériel qui encadre leur création ».

En plus d’être contraire à leur « intérêt initial », ces rétentions exposent les personnes « à des risques inhumains et dégradants, voire vitaux, s’indigne Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats en France. Nous ne connaissons pas les pathologies des personnes qui sont encore enfermées, ni si elles sont potentiellement plus fragiles face au Covid-19. En revanche, nous savons que les conditions de protection ne sont pas réunies, et qu’il n’y a même pas, dans la plupart des centres, de gel hydroalcoolique. » Selon elle, il n’existe aucune politique de continuité de l’activité qui soit commune et nationale et « chaque CRA fait avec les moyens du bord ! »

Une vingtaine d’expulsions

Lundi 16 mars, la Cimade comptait 900 personnes encore retenues en CRA, contre près de 160 aujourd’hui. La semaine dernière, de nombreux centres se sont en effet vidés, à l’initiative des préfets de région ou des juges des libertés qui ont procédé à de nombreuses remises en liberté. Néanmoins, aucune directive d’arrêt de placement en rétention ou de libération n’a été ordonnée par le ministère de l’Intérieur. Par ailleurs, la réduction des effectifs en CRA « ne doit pas empêcher une décision de fermeture par le Conseil d’État », plaide Laurence Roques, insistant sur le problème juridique que constituent ces maintiens en rétention.

« Fermer les CRA est un enjeu de santé publique et de respect des droits fondamentaux des personnes enfermées, reprend David Rohi. Quelle que soit l’issue de ce référé, cela ne doit pas empêcher le gouvernement de prendre ses responsabilités. » Selon les informations récoltées par le responsable rétention de la Cimade, il y aurait eu, entre le samedi 14 mars et le vendredi 20 mars, au moins 26 expulsions. Des renvois vers le Mali, l’Algérie, la Roumanie, la République démocratique du Congo, les Pays-Bas ou même la Géorgie. Cela, en dépit des risques de propagation de l’épidémie Covid-19 dans des pays-tiers. Depuis vendredi, David Rohi indique cependant n’avoir pas eu connaissance d’autres expulsions, « ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu. Depuis notre retrait des CRA, dû à la crise sanitaire, notre visibilité sur ce qu’il se passe à l’intérieur est moins complète que d’habitude. »

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