La parole aux scientifiques : Les glaciers, la cryosphère

Politis donne la parole à des experts qui observent la catastrophe climatique en cours. « On entend surtout parler de pays vulnérables, mais la France sera affectée. »

Vanina Delmas  • 25 novembre 2020 abonné·es
La parole aux scientifiques : Les glaciers, la cryosphère
© Ozkan Bilgin / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Heïdi Sevestre, glaciologue et directrice de communication scientifique à l’International Cryosphere Climate Initiative (ICCI)

Jean-Baptiste Bosson, glaciologue pour l’International Union for Conservation of Nature (IUCN)

J.-B. B. : Plus de 220 000 glaciers sont répertoriés dans le monde et 90 % d’entre eux perdent du volume depuis cent vingt ans. Une exception : la région du Karakoram, au Pakistan. L’année dernière, une étude globale a montré qu’entre 1961 et 2016 les glaciers ont perdu plus de 9 600 milliards de tonnes de glace, soit la surface de l’Espagne avec une épaisseur de 20 mètres.

Dans les Alpes, les massifs ne sont pas très hauts et fondent rapidement dès que les températures augmentent de quelques dixièmes de degré. Depuis 2014, je travaille particulièrement sur le glacier Tré-la-Tête, situé dans la réserve naturelle nationale des Contamines-Montjoie, donc protégé. En six ans, celui qui est le quatrième plus gros glacier français a perdu environ 380 millions de mètres cubes d’eau, soit 10 % de sa masse ! En disparaissant, ces volumes d’eau affluent progressivement vers les océans et les mers – pour le massif du Mont-Blanc, dans la Méditerranée –, ce qui contribue, au niveau global, à l’élévation du niveau marin : 23 centimètres depuis 1900 ! Notre rôle de scientifiques est de produire des données neutres et de parler aux gens pour les mettre face à leurs responsabilités d’électeurs, de consommateurs, de citoyens, de dirigeants politiques garants du bien commun.

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H. S. : Les glaciers s’inscrivent dans la cryosphère, qui est l’ensemble des masses gelées sur Terre (banquise, calottes polaires, permafrost, neige, glaciers). Elle est extrêmement vulnérable au moindre changement de température et subit de plein fouet le changement climatique. Il y a un seuil de température à ne pas dépasser, celui retenu dans l’accord de Paris et par le Giec : + 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Selon les projections les plus pessimistes, ce seuil pourrait être franchi en 2030, ce qui déclencherait des phénomènes de déstabilisation irréversibles pour la cryosphère. Aujourd’hui, nous en sommes déjà à +1,1 °C, et nous savons par exemple que le niveau des océans augmentera de 2 à 3 mètres. Nous pouvons seulement agir sur la vitesse à laquelle cela arrivera : des décennies ou des siècles. Si les deux immenses calottes polaires que sont le Groenland et l’Antarctique venaient à disparaître, cela provoquerait une augmentation du niveau des océans de 65 mètres !

Il est primordial de comprendre que nous ressentons et ressentirons tous la fonte de la cryosphère : l’élévation du niveau marin engendre le déplacement de milliers de personnes, les ressources en eau s’amoindrissent jour après jour partout dans le monde… Nous pensons souvent que c’est lointain, on entend surtout parler de pays vulnérables comme le Bangladesh, mais la France, avec sa façade atlantique, sera affectée aussi. Sur Terre, 700 millions de personnes vivent sur les littoraux entre 0 et 10 mètres d’altitude. Gouvernements et société civile doivent en prendre conscience et décider d’agir collectivement pour le bien commun.

Écologie
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