Bertrand Tavernier ou la foi dans le cinéma

Le réalisateur de Que la fête commence et du Juge et l’assassin est mort à l’âge de 79 ans. Un homme d’engagements et de passion.

Christophe Kantcheff  • 25 mars 2021
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Bertrand Tavernier ou la foi dans le cinéma
© Photo : Bertrand Tavernier au Festival du film de Marrakech, le 1er décembre 2019 (FADEL SENNA / AFP)

La ville de Lyon est triste. Elle n’y verra plus l’un de ses natifs, qui lui a rendu un superbe hommage dans son premier film de fiction, L’Horloger de Saint-Paul (1974), et lui est toujours resté fidèle – il était président de l’Institut Lumière. Bertrand Tavernier, au bout d’une vie qu’il n’a jamais voulue économe, tournant presque sans relâche, publiant des livres d’érudition cinéphilique, poussant des coups de gueule quand cela lui semblait nécessaire, est mort ce jour à 79 ans.

Né dans un milieu de la bourgeoisie intellectuelle, il était le fils de René Tavernier, écrivain, critique et grand résistant, directeur de la revue Confluences en 1941 et 1942, où il a notamment publié Éluard et Aragon, hébergeant celui-ci et Elsa Triolet jusqu’en 1943. Mais Bertrand Tavernier s’est toujours dissocié de son père, devenu gaulliste, en s’affirmant invariablement de gauche.

Le cinéaste l’a prouvé maintes fois, notamment dans le courant des années 1990, quand il fut l’une des têtes de proue de la lutte en faveur des sans-papiers – ce qui lui valut d’être fiché par les renseignement généraux comme appartenant à « la machine à pétitionner de la Société des réalisateurs de films » (il a aussi réalisé avec son fils Nils un documentaire, Histoires de vies brisées, sur ceux qu’on appelle les « double peine »). De même lorsqu’il se battait sur le front de l’exception culturelle, sans parler de son aversion épidermique de l’extrême droite.

L’homme était un puits de science cinéphilique, connaissant tout du cinéma classique hollywoodien, sur lequel il a publié, avec Jean-Pierre Coursodon, un livre de référence en 1970, 30 ans de cinéma américain, devenu ensuite, révisé et remanié, 50 ans de cinéma américain (Omnibus, 1995). Mais ce savoir n’était en rien théorique : Bertrand Tavernier était habité par le cinéma. Un amoureux passionné presque intégral, amateur de tous les genres, avec une inclination pour le polar et le western, et de tous les styles. Nous disons « presque », parce qu’en choisissant Jean Aurenche et Pierre Bost pour scénaristes de son premier long métrage déjà cité, L’Horloger de Saint-Paul, puis Aurenche seul pour ses films suivants, Que la fête commence (1974) et Le Juge et l’assassin (1975), il optait pour deux auteurs conspués par les cinéastes de la Nouvelle Vague.

Ce n’est pas un hasard. Contrairement à ses aînés, de dix ans plus âgés, Bertrand Tavernier ne rechignait pas à se réclamer d’un certain classicisme et affirmait son goût pour la qualité française. Il a même réalisé, en 2002, Laissez-passer, un film qui réhabilitait à sa manière les cinéastes qui avaient continué de tourner sous l’Occupation. Ses plus grandes réussites, pourtant, sont des œuvres qui ont ce grain de folie les faisant dérailler des chemins trop balisés. Ce sont, à nos yeux, ses premières œuvres, en particulier Le Juge et l’assassin, avec un Noiret et un Galabru tous deux époustouflants, ainsi que La Mort en direct (1980), La Vie et rien d’autre (1989), et L.627 (1992). Dans le registre du documentaire, La Guerre sans nom (1992) est aussi un film d’une grande intensité, avec des témoignages troublants sur l’exercice de la torture pendant la guerre d’Algérie.

Bertrand Tavernier a-t-il été un grand cinéaste ? Dans Un dimanche à la campagne (1984), film qui se déroule au tout début du XXe siècle, le cinéaste met en scène un vieux peintre, Monsieur Ladmiral (Louis Ducreux), qui reçoit la visite de sa fille anticonformiste (Sabine Azéma). Il lui confie ne pas avoir su prendre le sens de l’histoire en n’ayant pas emboîté le pas des impressionnistes. D’où une carrière de peintre académique. Bertrand Tavernier filme cet homme au crépuscule, faisant le bilan d’une vie artistique ratée, avec une grande tendresse. Au fond, pour considérer le cinéaste au moment où il disparaît, la grandeur n’est pas un critère essentiel. Le témoignage de son expérience créatrice vitale prime. Bertrand Tavernier était une incarnation du cinéma.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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