Le prix de la santé planétaire

L’actuelle urgence sanitaire ne doit pas faire oublier les risques accrus de pandémies ravageuses sous l’effet du réchauffement climatique, qui appellent des actions au moins aussi fortes que pour lutter contre le covid-19.

Emmanuel Drouet  • 22 septembre 2021
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Le prix de la santé planétaire
Aedes albopictus, le moustique tigre, absent d’Europe avant 1990, est responsable de maladies telles que la dengue, la fièvre Zika ou le chikungunya.
© Roger Eritja / Biosphoto / Biosphoto via AFP

Avec de terribles incendies de forêt et des inondations dévastatrices à travers le monde, le mois de juillet 2021 est devenu l’été le plus chaud jamais enregistré. Dans le même temps, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a publié son sixième rapport d’évaluation : il affirme sans équivoque la contribution de l’homme aux dérèglements climatiques de la planète. Selon ce document, la hausse des températures mondiales a entraîné « des changements généralisés et rapides non seulement dans l’atmosphère, mais aussi au niveau des océans, de la cryosphère et de la biosphère ». L’étendue des conséquences sur les systèmes humains et naturels sera explorée dans la contribution du groupe de travail II du Giec en 2022. Après que le monde a été complètement focalisé pendant presque deux ans sur la pandémie de covid-19, ce premier volume est un rappel sévère sur la possibilité d’autres crises sanitaires d’envergure planétaire, plus graves que celle que nous vivons actuellement, nécessitant une action immédiate.

Selon les rapports du Giec et du Lancet Countdown, les dérèglements climatiques sont déjà favorables à la transmission de nombreuses maladies infectieuses, par modification à la fois des caractéristiques biologiques des agents pathogènes et de leurs vecteurs.

La hausse des températures et l’augmentation des précipitations accroissent ainsi l’incidence des maladies à transmission vectorielle (le paludisme, la dengue, la leishmaniose), des infections entériques et des diarrhées sévères (choléra, infections à rotavirus), et de maladies parasitaires que l’on croyait contrôlées, telle la schistosomiase. Depuis une cinquantaine d’années, la capacité vectorielle (efficacité de transmission d’un vecteur) a globalement augmenté d’environ 9 % si l’on considère l’espèce d’insecte Aedes aegypti, et de 15 % avec le moustique tigre Aedes albopictus.

Cette dernière espèce, vectrice de maladies telles que la dengue, la fièvre Zika ou le chikungunya, était absente d’Europe avant 1990 et s’implante durablement dans de nombreux pays tempérés. D’autres vecteurs, comme les tiques Ixodes ricinus, porteurs de ce qui cause la maladie de Lyme ou le virus de l’encéphalite à tiques, se sont largement étendus à travers l’Europe. Au cours des dix dernières années, ce continent a vu un retour du paludisme, avec une transmission locale soutenue des infections à Plasmodium vivax en Grèce en 2012, des épidémies estivales récurrentes de virus du Nil en Europe méridionale et orientale, des cas de transmission du chikungunya en France et en Italie, et même du virus Zika en France en 2019.

Les conséquences mondiales dévastatrices de la pandémie de covid-19 sur les systèmes de santé et les économies devraient inciter les gouvernements, les décideurs et le grand public à ne pas sous-estimer la menace constituée par l’extension géographique et la dangerosité de ces maladies infectieuses. La crise sanitaire actuelle a stimulé de nombreuses initiatives relatives à la prévision des pandémies et à l’émergence potentielle de nouveaux agents pathogènes. De nombreux gouvernements ont fait face à la menace du covid-19 avec des financements sans précédent. La crise environnementale exige une réponse d’urgence au moins aussi forte.

Des investissements énormes seront nécessaires, au-delà de ce qui est considéré ou mis en place partout dans le monde. Les pays à revenu élevé doivent se réunir et aller au-delà de leurs engagements actuels en débloquant au minimum 100 milliards de dollars par an (1). Ces financements devront se faire par des subventions plutôt que par des prêts, et l’autonomisation des communautés politiques devra être renforcée pour régler la dette des pays à risque (pays du Sud majoritairement, pays à faible revenu).

Les professionnels de la santé devront faire tout leur possible pour stimuler la transition vers un environnement durable, plus juste et résilient. En d’autres termes, se focaliser sur des objectifs cohérents de santé planétaire.

En plus d’agir pour réduire les dommages de la crise environnementale, nous devons, de manière proactive, contribuer à la prévention mondiale d’autres crises sanitaires.

Par Emmanuel Drouet Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble.

(1) « Appel à l’action d’urgence pour limiter l’augmentation de la température mondiale, restaurer la biodiversité et protéger la santé », Organisation pan-américaine de la santé (Paho), Organisation mondiale de la santé, août 2021.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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