Comment la gauche compte regagner le vote populaire

Pour être présent au second tour, le camp progressiste doit retrouver la confiance des classes défavorisées, souvent abstentionnistes. Un objectif que tous les candidats souhaitent atteindre. Non sans difficultés.

Hugo Boursier  • 26 janvier 2022 abonné·es
Comment la gauche compte regagner le vote populaire
Lors d’une réunion publique de Jean-Luc Mélenchon sous la bannière de l’Union populaire, le 16 janvier 2022 à Nantes. n
© Frederic Petry/Hans Lucas/AFP

Les classes populaires n’ont pas quitté le navire politique. C’est la gauche qui les a jetées par dessus bord. Mais, à moins de trois mois du premier tour, les bouées de sauvetage sont lancées à tour de bras. Chaque candidat cherche à rattraper ces millions d’hommes et de femmes plongés, après des retournements de veste et des promesses non tenues, dans le grand bain des déçus, des dégoûtés et des abstentionnistes. L’exercice est laborieux. Difficile d’effacer les trahisons qui ont jalonné, ces dernières années, les relations pourtant historiques entre les populations précaires et le camp progressiste.

« Il faut s’accrocher et, parfois, c’est dur », expliquait Jean-Luc Mélenchon à Libération. Le candidat de La France insoumise (LFI) raconte que, lors de certains porte-à-porte, des militants entendaient dans le couloir : « C’est qui ? La gauche ? Non merci, on ne vote plus pour François Hollande. » Il faut dire que l’épouvantail corrézien a eu les mains lourdes. Dans la première, il y a son bilan catastrophique marqué par la loi travail et la déchéance de nationalité. Dans l’autre, les souvenirs amers de la note publiée en 2011 par Terra Nova, le laboratoire d’idées proche du PS, qui préconisait une réorientation de la stratégie du parti à la rose loin des ouvriers, du travail et de la lutte contre le capitalisme.

« Cette note a provoqué des dégâts », constate Boris Vallaud, à la tête de l’équipe des porte-parole d’Anne Hidalgo. « Un malentendu lourd », estime-t-il poliment, qu’il « faut solder ». Et, comme pour rattraper une certaine déconnexion, cela passe d’abord par l’acculturation. « Les socialistes ont le devoir de renouer avec ce travail exigeant de compréhension de la société et particulièrement des classes populaires », écrit-il dans le dernier numéro de la revue Germinal. Le responsable de programme du parti explique que de nombreux chercheurs ont été consultés au cours des dernières années. Et les citoyens ? Et les habitants populaires des quartiers et du monde rural ? Ont-ils été à l’origine de mesures bien précises ou de la réflexion autour du programme ? Finalement, ont-ils leur place ? Certes, des propositions sont mises en avant en direction des plus pauvres, comme l’augmentation du Smic à hauteur de 15 % – que compte aussi appliquer Christiane Taubira. Et Boris Vallaud de rappeler que le programme du parti a été l’objet de consultations citoyennes. Mais les mesures, aussi bonnes soient-elles, ne suffisent plus. Venues d’en haut, elles peuvent même avoir l’effet inverse : se teinter d’électoralisme et, finalement, augmenter l’intolérance à la représentation.

« Le boulevard à prendre est celui des propositions émanant des cités, des collectifs… »

Il est nécessaire que « les quartiers populaires puissent porter au cœur des structures politiques des actions réfléchies par eux-mêmes », pointe Azzédine Taïbi, maire PCF de Stains (Seine-Saint-Denis), qui a, sans surprise, rallié Jean-Luc Mélenchon après avoir voté pour l’union avec le député des Bouches-du-Rhône à la consultation du PCF pour la présidentielle, en mai dernier. L’ancien éducateur spécialisé poursuit : « De mon point de vue, le boulevard à prendre est celui de la prise en compte des propositions qui émanent des cités, des collectifs, des associations. » Et ce n’est pas un hasard si l’édile a officialisé sa décision lors du meeting du 5 décembre, durant lequel le Parlement d’union populaire était présenté. Cette structure, censée « dialoguer avec le candidat à la présidentielle, sur des sujets programmatiques et tactiques », intègre en son sein des militant·es des quartiers populaires parmi des figures syndicalistes et culturelles.

Activistes du quotidien

Une organisation analogue verra le jour dans les prochaines semaines du côté d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Elle sera nommée « l’Assemblée des possibles ». Si cette entité a le même objectif – faire entendre la voix de tous les citoyens –, sa composition sera différente : « Les membres seront tirés au sort pour représenter toute la société », explique Léonore Moncond’Huy, maire EELV de Poitiers et chargée du Conseil de la démocratie citoyenne. « Cela préfigure une mesure phare du candidat Jadot : l’élaboration d’une convention citoyenne sur la démocratie, à l’image de celle sur le climat », poursuit celle qui a été élue en 2020 sur une liste EELV soutenue par le PCF, Génération·s, Nouvelle Donne et Génération écologie.

Pour tendre vers cet horizon, Léonore Moncond’Huy, accompagnée de Marine -Tondelier, porte-parole du parti, a lancé dimanche le premier « café des possibles » dans le quartier populaire des Couronneries, à Poitiers. « L’occasion de réfléchir sur la défiance envers le politique et de remonter quelques propositions », explique-t-elle. Avant de se reprendre : « C’est surtout du fatalisme. Les gens nous disent qu’ils ne votent plus parce qu’ils considèrent qu’ils ne peuvent plus avoir de rôle dans le pays. »

Du côté d’EELV, une convention citoyenne sur la démocratie, à l’image de celle sur le climat.

Si donner une place aux activistes du quotidien semble être un mantra commun à LFI et EELV, il s’agit aussi pour ces deux formations de ne pas se tromper de propos lorsque les militants tiennent des stands dans les quartiers. Pour Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, cet enjeu est crucial. « On ne peut pas avoir un discours qui consiste à dire : “Je vais vous repolitiser.” C’est une grave erreur car l’abstention ne signifie pas l’absence de politique. Dans les zones populaires, la politisation existe, et elle est forte. » Selon l’élu, il s’agit plutôt de redonner de la confiance dans le fait de voter et de montrer que chaque voix compte puisque, « au niveau du programme, on n’a pas trop de mal à convaincre », s’emballe-t-il.

Porte-à-porte

Pour assurer que glisser son bulletin a encore un sens, LFI et le PCF ont sillonné la France en caravane tout l’été. Du côté des insoumis, cette tournée continue. La méthode est rodée : le mouvement réalise ce genre d’actions depuis 2017. À l’été 2021, elles ont seulement changé de nom, en étant estampillées « caravanes de l’Union populaire » pour coller au programme de la présidentielle. En plus de l’information sur les droits sociaux, les militants aident les habitants à s’inscrire sur les listes électorales. Une forme de mobilisation assez classique – le porte-à-porte – à laquelle recourt aussi le PCF. « Je ne raye pas d’un trait de plume les pratiques traditionnelles », explique Ian Brossat, conseiller municipal à Paris et porte-parole de Fabien Roussel. « Le Parti communiste peut encore profiter d’une force militante bien implantée. »

Campagne au plus près des classes populaires, espaces politiques ouverts à la société, propositions qui émanent du terrain… « À des degrés différents, on fait tous un peu la même chose », décrit Marine Tondelier. Comme pour montrer, peut-être, que le processus prendra du temps. En attendant, on multiplie les appels de phares. Les candidats organisent des prises de parole symboliques : Anne Hidalgo, dimanche, à Aubervilliers (devant de nombreuses chaises vides), Fabien Roussel au Bois-l’Abbé à Champigny la semaine prochaine… Le tout avec des mesures bien ciblées, comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC), revendiqué par les gilets jaunes et porté par la candidate du PS et Christiane Taubira.

Chez les communistes, ce sont les sujets régaliens – habituellement instrumentalisés par la droite – et la valeur travail qui se trouvent au cœur du programme présenté lundi 24 janvier. Des « fondamentaux » abandonnés « au nom d’une forme de boboïsation intellectuelle », affirme le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne au magazine Le Point, non sans créer des divisions au sein du parti_. « Si Fabien Roussel veut reprendre des voix à la droite, qu’il le fasse – nous, on veut convaincre les gens qui ne votent plus »,_ raille un cadre insoumis. Le temps presse.

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