L’Insee flingue la droite, enfonçons le clou

Supprimer des postes de fonctionnaires est antiéconomique, antisocial… et idiot.

Jean-Marie Harribey  • 26 janvier 2022
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L’Insee flingue la droite, enfonçons le clou
© Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

En pleine pandémie, Valérie Pécresse propose de supprimer 200 000 postes de fonctionnaires. C’est antiéconomique et antisocial. Mais c’est aussi idiot. En 2021, deux textes de statisticiens de l’Insee ont mis à mal deux absurdités très répandues. D’abord, dire que les dépenses publiques représentent 56,5 % du PIB « est une imposture (1) ». Pourquoi ? Parce que dépenses publiques et PIB n’ont pas la même composition et que les unes ne sont pas contenues dans l’autre. Ensuite, au sein des administrations publiques, les fonctionnaires concourent « à la production nationale » pour environ 18 % de la valeur ajoutée annuelle (2). Il faut ajouter ce « PIB non marchand » au PIB marchand pour connaître la valeur ajoutée nationale égale au PIB total.

Il était temps que soit démonté l’argument principal des libéraux : la valeur des services non marchands serait prélevée sur la production marchande. Non. Elle s’y ajoute, et même la dynamise. Ce tabou a pourtant été levé depuis des lustres (3). Et il est désormais nécessaire d’aller plus loin que l’élucidation de la comptabilité nationale, accomplie par l’Insee, et de revoir de fond en comble le concept de travail productif de valeur monétaire.

À côté de la production capitaliste proprement dite, il existe dans toutes les sociétés modernes dominées par le capitalisme un secteur soustrait à la logique du profit et où sont produits des services monétaires non marchands, sous l’égide de l’État, des collectivités territoriales, de la Sécurité sociale ou même d’associations à but non lucratif. Ils ne reçoivent pas de validation venant du marché, mais ils sont validés a priori par la décision politique de produire ces services d’éducation, de soin, etc. Un travail est donc productif de valeur lorsque les capitalistes réussissent à vendre leurs marchandises, et aussi lorsque la collectivité a pris la décision de satisfaire des besoins sociaux. C’est ce qui explique que le produit non marchand s’ajoute au produit marchand dans la comptabilité nationale. La vente sur le marché, moyennant paiement individuel, valide la production capitaliste ; l’impôt et les cotisations, prélevés sur un produit total qui contient le produit non marchand, paient collectivement le salaire des fonctionnaires embauchés à la suite de la décision politique antérieure : lesdits prélèvements obligatoires sont pour partie des « suppléments obligatoires ».

La validation sociale est donc le concept clé de la définition du travail productif. On doit ce concept à Marx, qui l’avait élaboré pour la production capitaliste. Les luttes sociales ont aujourd’hui imposé l’existence de services collectifs non marchands et créé ainsi un pan de l’activité non soumis à l’exigence de rentabilité. Diminuer les dépenses publiques constitue donc un non-sens. Ou de l’idéologie à l’état pur.

Par Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac

(1) Sylvain Billot, « Pourquoi parler de “part des dépenses publiques dans le PIB” est une imposture », blogs.alternatives-economiques.fr, 9 mai 2021.

(2) Nicolas Carnot et Étienne Debauche, « Dans quelle mesure les administrations publiques contribuent-elles à la production nationale ? », blog.insee.fr, 3 décembre 2021.

(3) Jean-Marie Harribey, « Ne tirez pas sur les “suppléments obligatoires” » Le Monde, 25 mars 1997 ; « L’Insee remet les pendules à l’heure sur le travail des fonctionnaires », blogs.alternatives-economiques.fr, 21 décembre 2021.

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