Jadot, décrochage en cours

Le candidat écologiste s’affaisse dans les sondages, alors que Jean-Luc Mélenchon se détache parmi les postulants de gauche, laissant présager un vote utile en sa faveur.

Patrick Piro  • 23 février 2022 abonné·es
Jadot, décrochage en cours
© STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Une campagne discrète, de modestes rassemblements publics, des passages médias peu répercutés, l’adoption soudaine de la cravate afin de « présidentialiser » son image : Yannick Jadot n’imprime pas dans l’opinion, s’inquiète le camp écologiste. Fin octobre, il recueillait quelque 9 % des intentions de vote. Quatre mois plus tard, elles sont tombées autour de 5 %, tout juste le seuil du remboursement des frais de la campagne, et au niveau du résultat de Noël Mamère en 2002 (5,2 %), record historique pour une candidature écologiste à la présidentielle. Vingt ans plus tard, l’urgence climatique, thème phare des écologistes, s’est pourtant largement imposée auprès du public. « Il n’a jamais quitté le top 5 de ses préoccupations depuis 2017 », constate Daniel Boy, directeur de recherche émérite au Cevipof (Sciences Po) et spécialiste de l’écologie politique. Une cécité des sondages ? Il n’y croit guère, même si la liste Jadot, troisième des européennes de 2019 avec 13,5 % des voix, avait été évaluée à 9 % par les sondages. « Ils sont plus robustes lors des présidentielles, l’électorat est plus déterminé et l’abstention moindre. »

Ce scrutin, qui promeut des individualités, n’a « jamais été notre tasse de thé », défend depuis longtemps EELV : le mouvement écolo, rétif aux ralliements disciplinés, coupe volontiers les têtes qui dépassent. Jadot a pourtant déjoué le syndrome de l’échec des personnalités notoires et favorites, battues lors de la primaire écologiste par le passé.

Le positionnement du candidat est cependant questionné. Il se présente en réconciliateur de la société, récusant les positions clivantes, mais porteur d’une vision forte. Une image nuancée qui peine néanmoins à sortir d’un certain flou. D’un côté un personnage posé, qui parle avec des industriels et va jusqu’à défiler avec des policiers en colère devant l’Assemblée nationale. De l’autre, un programme qui flirte parfois avec l’anticapitalisme, telle l’idée de cet « ISF climatique » que Jadot a été le premier à reprendre à son compte. Député européen, il est tonitruant face à Emmanuel Macron le 19 janvier dans l’hémicycle strasbourgeois : « Vous resterez dans l’histoire comme le président de l’inaction climatique ! » Sensation médiatique, mais pendant quelques heures à peine.

Les marches « climat » prévues en mars ou un renoncement de Taubira pourraient ragaillardir le candidat.

Pour Alain Coulombel, l’un des porte-parole d’EELV, la campagne officielle n’a pas démarré : « Emmanuel Macron ne s’est toujours pas déclaré candidat, ce qui entretient une indécision importante dans l’opinion et prépare une abstention record. Nous craignons même que le débat ne porte jamais vraiment sur les propositions des candidats. » L’écho de la présidentielle est saturé de la bagarre entre la droite et l’extrême droite. « Les débats sont réducteurs, polarisés sous l’influence des médias d’information et de débats en continu, soupire-t-il. Nous avons un bon candidat, porteur du thème majeur de la justice climatique, soutenu par une logistique comme nous n’en avons jamais déployée et par près de 400 comités de soutien dans le pays : je ne vois pas quoi faire de plus… »

Reste que le candidat paye indirectement l’échec du rassemblement à gauche. Et alors que Jean-Luc Mélenchon, en tête de ce camp, grimpe lentement dans les intentions de vote, « monte désormais la petite musique du vote utile en sa faveur, la même qu’en 2017 quand le couple Hamon-Jadot a chuté dans les sondages, entend Gilles Lemaire, ancien secrétaire national des Verts (2003-2005). Pourtant, Mélenchon n’a rien fait de ce “vote utile” pour construire un mouvement capable de changer les choses. Et il ne serait pas plus en mesure de l’emporter au second tour qu’en 2017. » Raison pour laquelle il estime que le vote utile vise au contraire à renforcer la position de Yannick Jadot, en vue d’un rassemblement plus crédible après la présidentielle.

Il n’est pas certain que cette proposition supplante l’espoir immédiat qu’un candidat de gauche puisse approcher le ticket d’entrée pour le second tour, estimé désormais autour de 15 % des voix, et qui n’a jamais été aussi bas. C’est la position d’Alma Dufour, qui a rejoint le parlement de l’Union populaire de Mélenchon. « D’abord parce qu’il est devant, même si je me sens plus proche de son programme. Il faut soutenir sa dynamique, on n’a pas le loisir d’attendre 2027. En situation inverse, j’aurais choisi Jadot. »

Alain Coulombel juge cependant prématuré de conclure que la situation s’est déjà cristallisée. Les marches « climat » prévues en mars pourraient ragaillardir le candidat, tout comme un éventuel renoncement de Christine Taubira, qui ne parviendra pas, sauf spectaculaire retournement de situation, à obtenir les 500 parrainages nécessaires à sa candidature. L’entrée en lice de la vainqueure de la Primaire populaire avait d’ailleurs coïncidé avec une dégradation des intentions de vote en faveur de Jadot.