Déconcentrer la presse : une question ancienne

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, des ordonnances visent à rompre avec le modèle médiatique capitaliste en limitant la possibilité de posséder plusieurs journaux. Une volonté rapidement contournée.

Claire Blandin  • 16 mars 2022
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Déconcentrer la presse : une question ancienne
Un kiosque à journaux, à Paris, le 30 janvier 1945.
© AFP

’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur avaient opéré en même temps pour donner à la France une presse qui, à de rares exceptions près, n’avait d’autre but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autre effet que d’avilir la moralité de tous. Il n’a donc pas été difficile à cette presse de devenir ce qu’elle a été de 1940 à 1944, c’est-à-dire la honte du pays. » Albert Camus publie ces lignes dans Combat, le 31 août 1944, quelques jours seulement après la diffusion des ordonnances qui restructurent la presse française à la Libération. Après un entre-deux-guerres marqué par la corruption puis l’entrée massive de la presse française dans la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale, les directives rassemblées par ­

Pierre-Henri Teitgen fondent un paysage médiatique nouveau. Dans ce cadre, la limitation de la concentration de la presse est vue comme un enjeu majeur.

Depuis les débuts de la IIIe République, la presse est appelée à jouer un rôle clé au cœur de l’espace public : il lui revient d’éclairer les électeurs et d’informer les élus sur la vie de leurs administrés. C’est pour lui assurer cette place centrale dans le fonctionnement démocratique qu’est votée la loi du 29 juillet 1881, accordant une très grande liberté aux journaux. La contrepartie de cette liberté est une responsabilité collective de la presse. Si c’est parfois par la violence de l’invective (pendant l’affaire Dreyfus ou dans les années 1930 par exemple) que les journaux trahissent cette confiance, c’est le plus souvent la question de leur propriété qui entrave le pluralisme.

Quand les enfants racontent l’histoire

Partir des enfants pour comprendre le monde, voilà une belle gageure et un projet bienvenu qui vient compenser le retard de l’historiographie en matière d’histoire des enfants. Pourtant, ces derniers sont bel et bien des acteurs de l’histoire, et leurs mots et leurs gestes disent quelque chose de la société qui les accueille et les éduque. Le bébé, le jeu, l’école, l’enfant en guerre, l’enfant-roi ou l’enfant arraché (ceux de l’île de La Réunion amenés de force dans la Creuse) sont autant de thématiques qui jalonnent cet ouvrage, par ailleurs fort simple d’accès, et qui va au-delà d’une seule histoire de l’enfance, vers une histoire globale. 

M. L. et L. D. C.

Histoire des enfants. Des années 1890 à nos jours Éric Alary, Passés composés, 336 pages, 23 euros.

En cette fin de XIXe siècle, la financiarisation des entreprises de presse est déjà une réalité : les industriels ont massivement investi dans le secteur, constitué d’entreprises capitalistes très rentables. C’est dans ce contexte d’un secteur médiatique façonné par le capitalisme que, dans l’entre-deux-guerres, des affaires révèlent ce que l’on nomme alors la « vénalité » de la presse : hommes politiques et industriels achètent les faveurs des journalistes. Le phénomène apparaît au grand jour à travers plusieurs affaires, comme le « suicide »
de l’escroc Alexandre Stavisky en janvier 1934.

Pendant l’Occupation, le contrôle exercé par les Allemands passe bien sûr par une censure des écrits, sous l’égide de la Propaganda-Abteilung. Mais ce contrôle est aussi orchestré par la concentration des journaux, à travers le trust Hibbelen, qui, directement dépendant de Goebbels, détient plus de la moitié des titres parisiens.
De fait, l’épuration qui se met en place au cours de l’été 1944 touche les titres (tous ceux qui ont continué à paraître sous contrôle allemand sont interdits) et les hommes (réattribution de toutes les cartes de presse). Parallèlement, la refondation du paysage médiatique veut instaurer une rupture avec le modèle de la presse capitaliste, dont la crise a révélé les faiblesses.

Pour entraver le retour des formes de concentration, l’ordonnance du 26 août 1944 interdit à une personne d’être propriétaire de plus d’un journal quotidien au-delà d’un certain tirage. Dans le même temps, les journaux titulaires de l’autorisation de reparaître bénéficient tous du même contingent de papier et d’encre. Ils sont vendus au même prix, l’État neutralisant ainsi, jusqu’en 1947, toute forme de concurrence. Les immeubles et installations confisqués sont loués aux journaux par la Société nationale des entreprises de presse, qui, créée en 1946, réunit l’État, la Fédération de la presse et les Travailleurs du Livre.

La question de la place et du rôle des propriétaires de journaux dans ce nouveau paysage médiatique se pose rapidement. Au Figaro, la propriétaire, Yvonne Cotnaréanu, entend bien influencer la ligne éditoriale du quotidien. En 1948, son directeur, Pierre Brisson, obtient que la loi rappelle que le contenu du quotidien est seulement de la responsabilité de l’équipe de journalistes (alors autour de François Mauriac et Louis-Gabriel Robinet), à qui a été accordée l’autorisation de reparaître.

Cette séquence fait long feu. Rapidement, concentrations et influences reprennent le dessus. Mais cela nous permet de nous rappeler que ce fut possible, que ça l’est encore.

Par Claire Blandin Professeure des universités, historienne des médias. Autrice du Manuel d’analyse de la presse magazine, Armand Colin, 2018.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 4 minutes
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