« Soy Libre », Laure Portier : La fureur de vivre

Dans Soy Libre, Laure Portier filme son frère en lutte pour trouver sa place quelque part.

Christophe Kantcheff  • 8 mars 2022 abonné·es
« Soy Libre », Laure Portier : La fureur de vivre
© Les Alchimistes Films

Ils font corps sur la Vespa. Ce sont les premières images de Soy Libre : postée derrière son frère, Arnaud, qui conduit l’engin, Laure tient sa caméra. Arnaud y va plein pot, sans égard pour sa passagère, qui, lors d’un cahot plus brutal qu’un autre, lâche un « Ah ! » qui accuse le coup. Voilà qui pose la relation entre le frère et la sœur. Une relation intense d’amour fraternel qui passe par la médiation d’une caméra, entre un chien fou et un être plus posé.

Soy Libre, Laure Portier, 1 h 18.
Laure Portier filme son frère cadet depuis qu’il est adolescent. On le voit au tout début à cet âge, visage à peine sorti d’une enfance maltraitée, qui l’a mené dans un centre éducatif fermé puis en prison. Arnaud aime le bruit et la fureur. Il est comme un lion en cage, y compris en extérieur. Il se livre à de longues séances de musculation : sa manière de décompresser. Et de se préparer au combat. « Je dois affronter la vie », dit-il. C’est ainsi qu’il aime celle-ci. D’une certaine façon, il n’a pas le choix.

Ou plutôt si. Arnaud exprime une rébellion désordonnée face aux institutions, poursuit ses larcins – il a volé un vieux scooter qu’il finit par brûler –, mais ne s’engouffre pas dans la spirale de l’incompris. Il quitte ce « pays de merde ». Fuite en avant ? Pas vraiment. Il va voir ailleurs s’il y est, c’est-à-dire s’il peut y trouver sa place. En Espagne d’abord, puis au Pérou. On se perd parfois dans ses voyages. Mais c’est son mouvement intime qui compte, sa géographie intérieure.

On continue à être avec lui. Non parce que sa sœur le suit – elle le rejoint de temps à autre –, mais parce qu’il se filme lui-même. Une sorte de contrat tacite les lie : ils font tous deux un film. Mais la présence de la caméra entre eux est parfois un sujet de controverse. Seul, Arnaud se filme dans une manifestation, dans des scènes de pillage, là où il dort à la belle étoile. Si Laure focalise l’objectif sur son frère, Arnaud montre volontiers le paysage. Il est l’auteur du seul plan large, magnifique.

Un reportage aurait réduit Arnaud à un cas social. Le cinéma et le regard de Laure Portier permettent de montrer que son frère n’est pas d’un seul bloc. La cinéaste, dont c’est ici le premier long-métrage, a parsemé son film des dessins expressifs d’Arnaud, qui ouvrent sur ses horizons émotionnels. Et dans une scène bouleversante entre le jeune homme et sa grand-mère proche de la mort, l’armure se fend, tout l’amour qu’il porte se délivre à grands flots. Soy Libre raconte une lutte existentielle menée par un garçon que rien n’autorisait à vaincre. Et pourtant…

Cinéma
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