Le climat, toute-urgence politique pour Alain Lipietz

Dans sa Révolution verte, Alain Lipietz plaide pour une écologie nécessairement européenne et décentralisée.

Denis Sieffert  • 20 avril 2022 abonné·es
Le climat, toute-urgence politique pour Alain Lipietz
© Julien Helaine/Hans Lucas/AFP

Cela fait bien quarante ans qu’Alain Lipietz nous nourrit de ses réflexions toujours fécondes depuis La Société en sablier, qui plaidait pour le partage du travail, avec quelques échappées miraculeuses du côté de Mallarmé. Mais La Révolution verte qu’il nous propose aujourd’hui est une étape importante, qui tient à la fois de la synthèse et du livre de combat. Après un état des lieux documenté, il pose la seule question qui vaille : pourquoi l’urgence climatique trouve-t-elle toujours plus urgent qu’elle quand vient l’heure de l’action ? Lipietz explore « le champ délicat des contradictions entre luttes écologiques et défense des intérêts populaires », et récuse la fameuse formule « la fin du mois contre la fin du monde ». Il juge sévèrement ceux qui cèdent à la démagogie. Ou Ségolène Royal cédant aux « bonnets rouges » et renonçant à l’écotaxe en 2013. Ses arguments font mouche quand il compare l’impératif écologique à l’interdiction du travail des enfants au XIXe siècle : « Les familles ouvrières étaient contre, car cela diminuait leur pouvoir d’achat. » Mais le mouvement social était mû par une perspective historique que l’écologie peine à réinventer.

Le blocage n’est ni économique ni technique, mais politique. L’auteur en vient naturellement à explorer le concept de révolution dans le sillage de Nicos Poulantzas : « Il faut changer de classe régnante. » Mais sa révolution est « un processus politico-culturel diversifié […] ininterrompu de réformes radicales ». La France y est-elle préparée ? Ses pages d’analyse sociologique sont stimulantes. Il déghettoïse les « bobos », souvent moqués, qui, dit-il, portent culturellement en eux l’acceptation de mixités ethniques et sociales qui devrait plutôt servir d’exemple que de repoussoir antiécologique.

En ces temps de foire à la démagogie, Lipietz ne cède rien. Même l’interdiction de l’arbre de Noël par le maire écolo de Bordeaux est argumentée. Son analyse de ce qu’il appelle, empruntant à Antonio Gramsci, les « nouveaux attracteurs politiques » porte à espérer. « Gangrenée par le poison du racisme », la fraction populaire qui vote Marine Le Pen pourrait en sortir si on lui rendait l’espoir. Un espoir qu’il ne trouve pas chez Jean-Luc Mélenchon, trop inspiré des populistes latino-américains, et à qui il décoche ses flèches : « Le bestiaire des relations est bien plus riche que les oppositions binaires. »

Sans surprise, Lipietz préfère les élections locales, décentralisatrices. Avec la « marée verte sur les métropoles », il aperçoit l’embryon d’un « bloc social en formation » qu’il nomme « éco-social-démocratie ». Oui, mais c’est la présidentielle qui reste le pivot de notre système, et c’est Mélenchon qui est en situation de nouvel « attracteur politique ». Au cœur du débat, l’Europe. S’il ne défend pas toutes les règles européennes, tant s’en faut, Lipietz plaide tout de même pour une Europe des règles. Mais, dans le champ politique, les pensées complexes sont plus faciles à détruire qu’à construire.

Face à la toute-urgence écologique, la révolution verte, Alain Lipietz, Les petits matins, 270 pages, 16 euros.

Idées
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