« Ventura », de Pedro Costa : Une vie tremblée

Dans Ventura, Pedro Costa met en scène un travailleur immigré vieillissant, dans une atmosphère crépusculaire.

Christophe Kantcheff  • 14 juin 2022 abonné·es
« Ventura », de Pedro Costa : Une vie tremblée
© survivance distribution

Ventura, de Pedro Costa, est un film de 2014 jamais sorti en France, présenté cette année-là au festival de Locarno, où il a remporté le prix de la mise en scène. En janvier 2022, on a pu voir du même cinéaste Vitalina Varela, tourné, lui, en 2019.

Ventura, Pedro Costa, 1 h 42.
Ce rapprochement involontaire de calendrier tend à ce que ces deux films soient perçus comme un diptyque. Notamment parce que le personnage de Vitalina est déjà présent dans Ventura, où son histoire, qui sera au cœur de Vitalina Varela, est déjà racontée : une femme venue du Cap-Vert, arrivée à Lisbonne trois jours après la mort de son mari, due à un accident de travail. Aussi parce que la force de cette femme est à la mesure de la faiblesse de Ventura, homme vieillissant au corps secoué de tremblements, déambulant dans un hôpital où il est censé être soigné.

Maître du clair-obscur, Pedro Costa a franchement orienté –Ventura vers le côté sombre. Que ce soit esthétiquement : le personnage, déjà héros d’En avant jeunesse ! (2006), a fréquemment sa silhouette ou son visage en partie mangés par l’ombre. Ou sur le plan du récit, qui oscille entre -présent et passé : Ventura erre dans les quartiers déshérités de Lisbonne (en particulier celui de Fon-tainhas, aujourd’hui détruit), et des no man’s land, comme une usine en ruine où jadis il a été exploité. Il se remémore aussi des épisodes de la révolution des -Œillets, en 1975, qui n’ont rien pour lui d’un moment d’émancipation. Au contraire : travailleur immigré originaire lui aussi du Cap-Vert, il a été considéré comme suspect.

Pedro Costa, à qui une exposition est consacrée au Centre Pompidou à Paris, avec les artistes Rui Chafes et Paulo Nozolino (1), a dévolu son cinéma aux miséreux, aux indésirables, aux exilés. Son film s’ouvre sur des photos de Jacob Riis prises dans les taudis de New York à la fin du XIXe siècle, traçant un continuum avec la représentation qu’il donne des pauvres au Portugal. Mais son cinéma lui-même, tout en étant plastiquement superbe, se détache radicalement de l’industrie cinématographique courante, étant plus proche de la roide humilité des œuvres de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Chez Costa, l’art, qui se fait naturellement avec et aux côtés de ceux qu’il filme (Ventura et Vitalina sont des comédiens non professionnels, qui à l’écran portent leur propre patronyme), s’apparente à l’arte povera. En cela, il n’a pas de prix.


(1) Jusqu’au 22 août. Une carte blanche lui est également consacrée au Jeu de paume, à Paris, jusqu’au 26 juin.

Cinéma
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