À Montreuil, l’avenir de l’usine polluée inquiète les riverains

Des riverains et des parents d’élèves relancent la mobilisation concernant la pollutions de l’usine Snem, alors que sa démolition aura bientôt lieu.

Vanina Delmas  • 20 juillet 2022
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À Montreuil, l’avenir de l’usine polluée inquiète les riverains
Mobilisation citoyenne à Montreuil en 2017.
© Vanina Delmas

À la veille des vacances d’été, une drôle d’effervescence s’est propagée aux alentours de la rue des Messiers à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le lundi 4 juillet, une vingtaine de riverains et de parents d’élèves s’est mobilisée devant l’usine Snem, autrefois spécialisée dans le traitement de pièces métalliques pour l’aéronautique, notamment pour Airbus et Safran. Plus connue sous le nom de « l’usine verte » à cause de la couleur de sa tôle défraîchie, elle a fermé ses portes en 2018, grâce à une mobilisation citoyenne tenace alertant sur une potentielle pollution du quartier aux solvants chlorés, dont le chrome VI, une substance nocive et cancérigène.

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Dès 7 heures du matin, ils sont venus manifester leurs inquiétudes et leur incompréhension face à la gestion de l’avenir de ce site pollué qui fait tâche dans ce quartier résidentiel, proche du parc des Guilands, où se trouvent trois écoles élémentaires et un collège. En effet, les premiers engins de chantier sont arrivés sur le site fin juin afin de lancer la première étape du chantier menée par la municipalité. En 2021, la ville de Montreuil et l’Établissement public territorial Est Ensemble ont fait valoir leur droit de préemption sur ce terrain au profit de l’Office public de l’habitat montreuillois (OPHM) pour 1,5 millions d’euros. L’objectif est de faire sortir de terre d’ici 2026 un bâtiment de 36 logements, dont la moitié en accession sociale et l’autre partie en locatif social.

« C’est un choix politique avec un double objectif, explique Florent Guéguen, conseiller municipal et président de l’OPHM. D’abord pour éviter la spéculation dans ce quartier qui manque de logements sociaux, et aussi pour assurer la maîtrise d’ouvrage publique des opérations de démolition, de dépollution puis de construction. Les habitants pourront nous demander des comptes, nous les informerons régulièrement, ce qui n’aurait pas forcément été le cas avec un promoteur immobilier privé. »

Une démolition à haut risque ?

Les riverains interrogés ne sont pas opposés à ce projet de logements sociaux, mais craignent que le principe de précaution ne soit pas la priorité, face à l’impératif d’un agenda à tenir. «L’OPHM nous certifie qu’ils n’ont commencé qu’un nettoyage mais ils ont quand même remué la terre, détruit un appentis sur une partie du site où des traces de chrome VI, de métaux lourds avaient été trouvées lors des analyses précédentes. Le sol est très argileux et se craquelle, se fissure facilement quand il fait chaud… », raconte Benjamin Glaesener, habitant du quartier depuis 2011.

Du côté de l’OPHM et de la mairie, le déroulé des opérations est très clair : la phase de démolition commencera par le désamiantage du site à partir du 8 août, et _« une sorte de coffrage de l’usine sera installé pour éviter que d’éventuelles fibres d’amiante ne s’échappent de l’usine». À l’automne, des tests complémentaires seront effectués pour affiner l’état de pollution du site, dans l’air et dans le sol. Les résultats et les détails des produits identifiés seront rendus publics en novembre 2022. La phase de dépollution ne débutera qu’après toutes ces étapes, donc pas avant début 2023. Sur le volet financement, l’Ophm affirme avoir provisionné un million d’euros dont 580 000 euros proviennent des subventions de l’Ademe via son « fonds pour le recyclage des friches ». _«Nous ne pensons pas que les opérations de démolition peuvent conduire à des émanations de gaz. Néanmoins, nous poserons des balises pour tenter de rassurer tout le monde et pouvoir mesurer le moindre problème », affirme Florent Guéguen.

Les riverains les plus méfiants demandent l’arrêt total du chantier tant que la mise en sécurité des riverains et des établissements scolaires n’est pas faite. Ils insistent également sur la nécessité d’établir des relevés de référence concernant les produits nocifs avant toute intervention sur le site, afin de comparer les taux aux différentes phases du chantier. « Une vraie étude initiale dans laquelle on ne recherche pas que l’amiante et le plomb, mais bien toute la variété de produits polluants déjà mentionnés dans les rapports précédents », précise Benjamin Glaesener.

Des traces de produits toxiques avérées

En effet, ce dossier ne manque pas de données quant à la pollution des sols et de l’air. En 2017, la Snem avait fait réaliser un diagnostic de pollution à la demande de la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee), par le bureau d’études Dekra. Celui-ci avait mis en évidence sur le site même de l’usine des pollutions organiques (trichloroéthylène et tétrachloroéthylène principalement) et des pollutions inorganiques (métaux : cadmium, chrome, chrome VI, cuivre, plomb, nickel, zinc). L’année suivante, le même bureau d’étude estimait les risques sanitaires sur le site _« acceptables », mais recommandait la réalisation d’analyses par l’État hors du site. Cette étude complémentaire, réalisée par Burgeap et financée par les riverains et le groupe VERTS /ALE du Parlement européen, mettait en évidence la présence de trichloroéthylène (TCE) dans les gaz des sols et l’air d’une habitation, même si les taux étaient inférieurs aux seuils d’alerte de l’Anses et de l’OMS.

Cette maison, c’est celle de Christine Bombal, l’une des riveraines les plus proches de l’usine depuis une quinzaine d’années. Elle redoute que la poussière soulevée lors des diverses opérations sur le site fasse augmenter les taux de solvants chez elle. « Ils nous ont promis la pose de capteurs sur le site, dans les établissements publics et chez les habitants volontaires, ce qui est très bien, mais pas suffisant. Nous souhaitons une réunion d’information sur les protocoles à suivre si jamais ces balises détectent un taux anormal de gaz chez nous ! Nous comprenons donc que pour eux, la phase de démolition n’est pas considérée comme une phase à risques », dénonce-t-elle.

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Pour assurer le dialogue et la transparence, Florent Guéguen confirme la mise en place d’un comité de suivi de chantier intégrant des riverains, des réunions d’informations régulières, et un référent dédié aux questions des riverains. Une réunion entière consacrée au sujet de la dépollution devrait être organisée et pourrait répondre aux nombreuses questions qui restent en suspens selon les citoyens mobilisés : comment les poussières et migrations des solvants seront-elles maîtrisées ? La présence de chrome VI sera-elle véritablement recherchée ? L’OPHM aura-t-elle assez de réserves financières pour absorber les coûts de la dépollution ?

Certains ont déjà déposé plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui » et tous redoubleront de vigilance en septembre afin que leurs enfants ne fassent pas leur rentrée des classes dans une atmosphère polluée.

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes
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