Au procès des 8 militants des jardins d’Aubervilliers

Le parquet a requis un an de prison avec sursis et 2500 euros d’amende à l’encontre de celles et ceux qui s’étaient mobilisés, le 2 février dernier, contre la bétonisation des jardins.

Pauline Gensel  • 5 septembre 2022 abonné·es
Au procès des 8 militants des jardins d’Aubervilliers
© Les militants lors de l'opération du 2 février. (Photo : Pauline Gensel.)

Un solarium improvisé, devant le tribunal de Bobigny. Armés de bermudas, de lunettes de soleil et de couronnes de fleurs, une centaine de personnes se sont réunies, vendredi 2 septembre, quelques heures avant l’ouverture du procès de huit militants opposés aux travaux menaçant les jardins ouvriers d’Aubervilliers. À deux pas de la passerelle Marie-Claire, hommage à Marie-Claire Chevalier, figure de la lutte pour le droit à l’avortement en France défendue en 1972 par Gisèle Halimi.

Dans un message lu lors de l’inauguration de la passerelle en 2005, l’avocate énonçait alors : « Je souhaite que tous ceux qui l’emprunteront désormais se souviennent des luttes menées et des succès remportés, mais sachent que les acquis des femmes sont toujours fragiles et peuvent être rapidement remis en question. »

Dolorès, membre du collectif de défense des jardins d’Aubervilliers, ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec la lutte menée contre le projet de bétonisation des parcelles ouvrières. « C’est tout un symbole. Et cela nous remplit d’émotions de se dire que peut-être, nous aussi, nous allons gagner et créer une jurisprudence. »

Contre une bétonisation incohérente

Ce 2 septembre, huit militants comparaissent donc devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny, poursuivis pour entrave à travaux publics. Le 2 février dernier, premier jour de bétonisation des jardins ouvriers, ils avaient ainsi bloqué le début des chantiers en s’attachant à une centrale à béton.

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Un militant évacué lors de l’opération du 2 février. (Photo : Pauline Gensel.)

Un chant du cygne, dernier recours pour s’opposer au projet d’équipement olympique, prévoyant un solarium, une piscine d’envergure et une nouvelle gare de métro. « Avant de s’enchaîner aux bétonneuses, nous avons épuisé toutes les voix légales possibles, rappelle Chloé Gerbier, juriste en droit de l’environnement et experte en analyse et conduite de projets environnementaux, qui a participé à la mobilisation. Pétition, enquête publique, proposition d’un projet alternatif de construction de piscine olympique, attaque en justice du plan local d’urbanisme… » Malgré les actions portées par le collectif, les travaux suivaient leurs cours, inexorablement.

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« Nous savions que si nous laissions le béton couler, il n’y aurait pas de retour en arrière possible, explique Yun, l’un des huit militants poursuivis. Nous avons voulu devancer la justice, qui nous a donné raison quelques jours plus tard. » Une semaine après la mobilisation du 2 février, la cour administrative d’appel de Paris jugeait « incohérent » le plan local d’urbanisme qui permettait la destruction d’une partie des jardins et ordonnait la suspension des travaux.

« Love is all »

Chloé Gerbier, et les sept autres prévenus ont passé 34 heures en garde-à-vue à l’issue de la mobilisation du 2 février. 34 heures pendant lesquelles ils ont fabriqué des colliers de fleurs en papier toilettes, pour poursuivre la lutte contre « la bétonisation des cœurs et des esprits », raconte Viviane, l’une des prévenus. « La lutte est belle, parce que nous défendons quelque chose de beau », acquiesce Dolorès.

Un atelier de fabrication de couronnes de fleurs s’organise sur l’esplanade du tribunal. Deux « avocanimaux » – de grandes constructions représentant un cerf et une chouette en robes de magistrats – s’animent et laissent entendre, par des micros dissimulés, la voix de la biodiversité étouffée. Ils finissent par danser sur « Love is All », de Roger Glover & Butterfly Ball.

La salle d’audience est pleine, plus d’une cinquantaine de personnes assistent au procès. D’autres attendent dehors, faute de place.

Le procès s’ouvre en début d’après-midi. À l’intérieur du tribunal de Bobigny, la végétation qui s’élève timidement sous un grand plafond de verre semble faire écho à l’écrin de verdure détruit à Aubervilliers. La salle d’audience est pleine, plus d’une cinquantaine de personnes assistent au procès, d’autres attendent dehors, faute de place.

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Les huit prévenus ont monté une défense collective et se tiennent d’un bloc. Lorsque l’assesseur qui mène l’audience leur demande de décliner leur identité, leur situation professionnelle, leurs dettes et crédits à la consommation éventuels, ils martèlent, les uns après les autres, qu’ils souhaitent garder le silence. « Pour apprécier une peine financière, il faut connaître les moyens dont dispose les prévenus, avertit l’assesseur. Et s’il y avait une amende de 100 000 euros ? »

Délibéré le 16 septembre

La procureure générale récite son réquisitoire. Elle demande 2500 euros d’amende assortis d’une peine d’un an de prison avec sursis pour chacun des prévenus, ainsi que « l’interdiction de porter une arme pendant une durée d’un an » pour l’une d’entre eux, organisatrice présumée de la mobilisation. Dans le public, on glousse. « Ça devrait aller pour elle », chuchote-t-on sur un banc.

Il faut encore lutter et peut-être trouver d’autres moyens de batailler. On continue.

Du côté de la défense, Maîtres Bonaglia et Bouillon plaident la liberté d’expression et l’ « état de nécessité », considérant que le collectif a agi pour répondre à un danger réel, imminent et aux effets irréversibles. Le délibéré sera rendu le 16 septembre.

En attendant, le collectif de défense des jardins d’Aubervilliers ne faiblit pas. La Société du Grand Paris propose une « saison 2 » : la bétonisation des jardins pour construire une gare. Et Viviane de lancer : « Aujourd’hui, il y a une menace, il faut encore lutter et peut-être trouver d’autres moyens de batailler. On continue ».

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