« Revoir Paris » d’Alice Winocour : une mémoire trouée

Alice Winocour signe une œuvre intelligente et subtile sur les traumatismes post-attentats.

Christophe Kantcheff  • 6 septembre 2022 abonné·es
« Revoir Paris » d’Alice Winocour : une mémoire trouée
© Photo : Pathé Films.

Revoir Paris. Un titre à entendre dans toute sa plénitude sémantique. Revoir Paris, non seulement comme on y retourne après une plus ou moins longue absence, mais aussi comme on le redécouvre, comme on ne l’a jamais vu. Alice Winocour a pertinemment choisi ce titre pour son quatrième long-métrage, qui raconte le retour à la vie « normale » d’une femme survivante d’un attentat.

Revoir Paris, Alice Winocour, 1 h 43.

Les actes terroristes survenus en France au milieu des années 2010 entrent peu à peu dans les fictions. On se souvient du personnage incarné par Reda Kateb dans la première saison d’En thérapie  ; ou d’Amanda, le film de Mikhaël Hers, dans lequel une petite fille devait continuer à vivre après la disparition de sa mère. L’approche d’Alice Winocour est aussi très personnelle : son propre frère se trouvait au Bataclan le 13 novembre 2015.

© Politis

Au début de Revoir Paris, on découvre Mia (Virginie Efira, qui porte une émotion subtile de bout en bout), sans enfant, traductrice du russe, vivant à Paris avec son compagnon (Grégoire Colin). Elle prend place un peu par hasard dans une brasserie, où, alors qu’elle était sur le point de sortir, deux personnes devant elle sont tuées. Mia se jette à terre. Le calvaire commence.

Alice Winocour filme ces scènes en restant au plus près du personnage. Le sentiment d’horreur est là, mais pas le voyeurisme. Preuve de tact et d’intelligence de la part de la metteuse en scène. D’autant qu’on est loin de voir tout ce que Mia endure, ce qui se passe pour elle durant la tuerie. Or, ce qui n’est pas montré va devenir l’enjeu du film : Mia a survécu, mais le traumatisme a provoqué en elle une amnésie. Revoir Paris raconte l’histoire de la douloureuse reconstitution de sa mémoire. Comment en recoudre le fil afin de sortir de la nuit des limbes, propice aux tourments ?

Blessures à vif

D’où la forme que prend le film : celle d’une enquête. Avec son coscé­nariste, le documentariste Jean-­Stéphane Bron, la cinéaste s’est fondée sur le témoignage de son frère et a enquêté sur la manière dont les survivants ont partagé leurs souvenirs – souvent des bribes – pour échanger des informations, retrouver des objets.

D’où le fait que Mia retourne sur les lieux, rencontre des victimes comme elle, le corps souvent atteint et les blessures intérieures à vif. Elle est en quête de réminiscences, sources d’élucidation. Ce qui la mène, au fil de ses recherches, à sortir de l’invisibilité de sa mémoire et de l’invisibilisation sociale un travailleur sans papiers dont on ne dira rien sur le rôle qu’il a eu durant le massacre. C’est une très belle idée du film.

La rencontre des contraires, entre Mia et Thomas, permet l’entraide. Et peut-être mieux encore : de revoir la vie avec un regard régénéré.

Un ou deux points scénaristiques étaient peut-être superflus, mais certainement pas le personnage de Thomas, interprété par Benoît Magimel, un survivant se souvenant, quant à lui, de tout. Cette mémoire intacte de l’attentat est un poids, qu’il tente d’alléger avec une forme d’humour distancié. La rencontre des contraires, entre Mia et Thomas, permet l’entraide. Et peut-être mieux encore : de revoir la vie avec un regard régénéré.

Cinéma
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