William Klein et le mythe du « super Américain »

Le photographe et cinéaste est mort le 10 septembre. Il laisse une œuvre influente et de grands films, parmi lesquels _Muhammad Ali, The Greatest._

Pauline Guedj  • 28 septembre 2022 abonné·es
William Klein et le mythe du « super Américain »
© Photo : Bert Brown / Collection ChristopheL via AFP.

Nous sommes en 1956. Le photographe William Klein, disparu le 10 septembre dernier à l’âge de 96 ans, publie en France son premier recueil de photographies.

Muhammad Ali The Greatest est disponible en DVD chez Arte éditions et en VOD sur universcine.com.

Il est le plus français des Américains, dit-on. Klein a découvert Paris pendant la guerre. Il y est resté, a suivi ses études à la Sorbonne, rencontré Fernand Léger, son mentor, et ses amis, Chris Marker et Alain Resnais.

C’est Marker qui propose son livre au Seuil après le refus de nombreux éditeurs américains. Le livre serait trop anti–américain, plein « de [son] ressentiment envers les États-Unis». La Vie est belle et bonne pour vous à New York : le titre est ironique. Klein fuit une ville qu’il juge de misère et d’apparat.

Pionnier de la photo de rue

À la sortie du livre, Klein se voit affublé du statut de pionnier de la photographie de rue. Comme Robert Frank, deux ans après lui, il parvient à capter les enjeux de son époque et les dynamiques propres à la ville qu’il croque. Sur l’une de ses photos, on voit un enfant qui fixe l’objectif. Il tend un revolver au photographe, le regard menaçant. Une image d’effroi. Les clichés vont bon train. Un môme en zone de guerre ? Mais non, s’amuse Klein. Le pistolet n’est qu’un jouet. « Je lui ai demandé de jouer les méchants. » Chez Klein, se fier aux apparences est trompeur. Ne jamais rester à la surface des choses et chercher l’ambiguïté en toute situation.

Deux ans après cette première parution, William Klein s’essaie au cinéma. C’est Alain Resnais qui lui aurait conseillé de sauter le pas, et celui-ci figure d’ailleurs au générique de Broadway by Light, un court-métrage de 12 minutes dans lequel il filme des néons. Suivront des œuvres de fictions, Who Are You, Polly Maggoo ? en 1966, une satire de la mode, et des documentaires aux thèmes politiques (Les Français et la politique en 1962, Le Festival panafricain d’Alger en 1969, Eldridge Cleaver, Black Panther en 1970) et sportifs (The French en 1982, sur le tournoi de Roland-Garros, Muhammad Ali The Greatest en 1969).

Un film sur le sport… presque sans sport

Dans Muhammad Ali The Greatest, William Klein s’intéresse aux à-côtés du sport. Il veut montrer les enjeux de pouvoir, les tensions raciales, politiques et de classe qui se tissent autour de la carrière du champion et de ses prestations en public. Klein relève le défi d’élaborer un film sur le sport presque sans sport, un film qui s’intéresse davantage aux échanges de paroles qu’aux corps qui s’affrontent. Klein suit, caméra à l’épaule, les entraînements d’Ali, dévoile ses échanges avec le public, son entraîneur, les journalistes, et montre son entourage.

© Politis

Le film s’amorce par un portrait édifiant de ceux qui « possèdent » le boxeur, les Blancs sudistes qui financent sa carrière, louent son succès mais dénoncent son manque de reconnaissance. On rencontre ensuite ceux qui amassent de l’argent sur son dos, les bookmakers et les publicistes au premier chef.

Puis ceux qui utilisent son image pour soutenir un discours politique, celui de la Nation of Islam, et celui qui l’a élevé spirituellement et politiquement, Malcolm X, avec lequel Klein s’entretient dans une séquence où l’on retrouve la précision intransigeante du leader.

Au long du film, Ali apparaît comme le symbole d’entités qui le dépassent. Il est l’Afrique. Il est l’Amérique.

Au long du film, Ali apparaît comme le symbole d’entités qui le dépassent. Il est l’Afrique. Il est l’Amérique. Il est même un « super-Américain », nous dit l’écrivain Finlay Campbell, athlétique, propre sur lui et poli, presque un cliché. Ali est aussi un panafricain.

À Kinshasa, où il affronte George Foreman et retrouve son titre de champion du monde, Klein insiste sur son impact sur les foules, sur la manière dont lui, et non son adversaire, devient l’icône d’un peuple noir, libre et uni. Mais comme toujours, Klein voit par-delà les apparences. Le dictateur Mobutu veille et Ali reste pragmatique. Panafricaniste, certes, « mais si la Chine offre plus, c’est là que j’irai ». Les idéaux politiques dialoguent en permanence avec le cynisme.

L’enfant de la photo jouait au méchant et Muhammad Ali n’abandonne jamais sa recherche du profit. Être un super-Américain, c’est bien cela. Noir comme Blanc. Ne devoir rien à personne.

Cinéma
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