Inscriptions à l’université populaire sur l’autre économie

Thierry Brun  • 13 juin 2007
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L’hebdomadaire Politis est partenaire d’un cycle de rencontres sur l’autre économie dans le cadre des journées d’ouverture de l’université populaire et citoyenne de Paris . Ce colloque international se déroulera les 25 et 26 juin au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), amphithéâtre 3 Aimé Laussedat, 2, rue Conté, 75003 Paris (accès 31, 3ème étage). L’entrée est gratuite, mais une inscription est obligatoire. Pour cela, contacter Nadine da Rocha au 01 58 80 88 29 ou par courriel sed@lise.cnrs.fr

Voici le thème du colloque international :

« Innovations socio-économiques. Le débat contemporain »

L’économie de marché cohabite avec une économie publique et aussi des prestations effectuées sur le registre de la réciprocité et de l’égalité. Il existe ainsi une « autre économie » fondée sur les solidarités. A travers une approche pluridisciplinaire, l’université populaire et citoyenne de Paris – CNAM, se donne pour objet la connaissance de cette autre économie par un cycle de rencontres en 2007-2008.
Cette autre économie se manifeste en particulier par une multitude d’innovations socio-économiques et le colloque international qui ouvre ce cycle aborde le débat contemporain à deux niveaux.
– Au niveau pratique, par la prise en compte de toutes les formes d’entreprises et de logiques économiques qui ne peuvent être analysées à travers le seul prisme utilitariste. La première journée est ainsi consacrée à l’examen d’expériences effectué sous l’intitulé « Reconfigurer les rapports entre économie et solidarité : associations, coopératives et entreprises sociales ».
– Au niveau théorique, par la prise en compte de conceptualisations qui admettent l’étude de toutes les formes d’agir économique et des cadres institutionnels dans lesquels elles s’exercent. La seconde journée intitulée « Revisiter Polanyi » est dédiée à l’apport d’un auteur majeur pour une nouvelle approche des rapports en économie et société.

Journée du 25 juin 2007

Reconfigurer les rapports entre économie et solidarité : associations, coopératives et entreprises sociales

OBJET

Les évolutions récentes montrent que développements associatif et coopératif ne peuvent être compris isolément. Elles manifestent une porosité accrue des frontières entre associations et coopératives tout en engendrant de nouvelles législations que l’on peut regrouper autour des notions de coopératives de solidarité et d’entreprises sociales. Il s’agit d’examiner ces innovations au niveau international, national et local à partir d’approches synthétiques comme d’études de cas.

CONTEXTE

Dans les conditions actuelles, la comparaison internationale relativise le choix d’un statut coopératif ou associatif, autant que le recours à ceux plus nouveaux qui les complètent. Ils dépendent surtout des dispositifs juridiques offerts par chaque législation nationale.
Ainsi en Italie, l’avènement des coopératives de solidarité sociale est dû à ce que les activités économiques que les promoteurs souhaitaient créer n’étaient pas admissibles au sein du statut associatif. Les porteurs de projets associatifs choisissent la coopérative parce qu’elle a un statut d’entreprise ; ils s’y reconnaissent parce qu’elle favorise la participation tout en profitant de ce qu’elle n’est pas taxée sur les profits non distribués. Au départ ces expériences rencontrent une contradiction entre la loi de 1948 sur les coopératives qui réserve l’activité aux membres et la constitution du pays qui admet pour celles-ci des buts sociaux plus larges. La loi votée en 1991 permet de la dépasser, elle stipule que les coopératives « sociales » interviennent « dans l’intérêt général de la communauté et pour l’intégration sociale des citoyens ». Alors qu’auparavant les coopératives reposaient sur l’initiative d’une catégorie unique, travailleurs ou consommateurs par exemple, les groupes fondateurs sont plus hétérogènes. Pour la première fois les coopératives peuvent avoir des membres volontaires, sans toutefois que leur nombre excède la moitié de l’ensemble des autres membres : travailleurs, consommateurs et personnes morales, parmi lesquelles peuvent figurer des pouvoirs publics. Deux types de coopératives sociales sont identifiés, les coopératives de services (sociaux, de santé, d’éducation) et d’intégration (insertion de travailleurs handicapés ou défavorisés). Spectaculaire dans ses résultats puisqu’elle génère 300.000 créations d’emplois dans la décennie 1990, la référence italienne sert de modèle pour d’autres pays. En Espagne, trois lois régionales prévoient des coopératives à vocation sociale : en 1983 la Catalogne vote une loi sur les coopératives mixtes d’intégration sociale, en 1985 c’est la région de Valence qui en adopte une et l’Euskadi en 1993 ; au niveau national une loi de 1999 introduit les coopératives d’initiative sociale pouvant gérer des services d’intérêt collectif ou des services sociaux publics. Les coopératives de solidarité sociale sont reconnues au Portugal par une loi de 1996 précisée en 1998, elles sont destinées à soutenir des groupes « vulnérables » (enfants, personnes âgées ou handicapées,…) et des familles et communautés défavorisées, les membres effectifs bénéficiaires des services y sont distingués des membres volontaires apporteurs de biens ou services non rémunérés. En 1999 est mis au point un statut de coopérative sociale à responsabilité limitée alors qu’en France une société coopérative d’intérêt collectif est adoptée en 2001.
Les coopératives sociales ou d’intérêt collectif fondent leur dynamique sur le multisociétariat au sein duquel est garanti une égalité juridique entre parties prenantes. Elles transforment les parties prenantes en co-décisionnaires par leur accession au rang de sociétaires. Elles se distinguent donc des entreprises de capitaux qui mobilisent un discours sur les parties prenantes tout en maintenant une forte hiérarchisation de celles-ci du fait qu’elles ne sont pas actionnaires.
En sus de ses adjonctions faites au statut coopératif, la notion d’entreprise sociale opère une étonnante percée des deux côtés de l’Atlantique. Elle s’amorce aux Etats-Unis avec un accent entrepreneurial puisqu’il s’agit dans de grandes universités (d’abord la Havard Business School avec la « Social Enterprise Initiative » lancée en 1993, puis Columbia, Yale, …) de montrer que l’initiative et la prise de risques ne sont pas réservées à des entreprises lucratives. Elle se poursuit au Royaume-Uni où le gouvernement lance en 2002 une « Coalition for Social enterprise » et une « Social Enterprise Unit » pour soutenir ces entreprises dont le nombre est estimé à 5.300 avant de créer en 2005 le statut de « community interest company ».
Toutes ces démarches, entérinées par la loi dans divers contextes nationaux, ne peuvent être comprises à travers une approche du tiers secteur qui établit une séparation étanche entre associations et coopératives, de plus en plus remise en cause dans la réalité. Elles ne peuvent pas non plus trouver place au sein des statuts antérieurement acquis de l’économie sociale dont elles se démarquent par leurs finalités solidaires plus larges et par leur qualité d’entreprises à parties prenantes multiples. L’objectif explicite de service à la collectivité et la répartition du pouvoir entre les diverses parties prenantes sont les deux caractéristiques les plus spécifiques des réalités émergentes, ce qui amène à examiner leur lien.

DEROULEMENT

En prolongement des recherches menées au niveau national par les laboratoires du CNAM, LISE (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) et GREG (Groupe de recherche en économie et en gestion), dans le cadre des activités du réseau d’excellence « CINEFOGO » (Civil Society and New Forms of Governance in Europe), il s’agit au cœur de cette journée d’apporter un éclairage international sur ces innovations socio-économiques, en particulier par une comparaison entre leurs formes et les significations qui leur sont attribuées en Amérique et en Europe. Cette mise en perspective est complétée par un éclairage sur certaines dimensions propres à la réalité européenne, avant que ne soient abordées de nouvelles politiques locales destinées à soutenir ces innovations.

Journée du 26 juin 2007

Revisiter Polanyi

OBJET

La définition donnée à l’économie s’avère décisive pour ses rapports avec la société. De ce point de vue l’apport de K. Polanyi est particulièrement intéressant pour le débat contemporain. Comme il l’a mentionné, le terme économique que l’on utilise couramment pour désigner un certain type d’activité humaine oscille entre deux pôles de signification. Le premier sens, ou sens substantif, insiste sur les relations et les interdépendances entre les hommes et les milieux naturels, intégrant ces éléments comme constitutifs de l’économie. Mais cette première définition a été oubliée au profit d’un second sens, le sens formel, provenant du caractère logique de la relation entre fins et moyens et découlant de la référence à la rareté. Alors que le second sens domine, il s’agit en s’appuyant sur un éclairage du sens premier, de mettre en évidence les différents apports dont est riche l’œuvre de K. Polanyi pour une approche renouvelée de l’économie.

CONTEXTE

L’adoption de la définition formelle, inhérente à l’approche orthodoxe de l’économie a entraîné un réductionnisme opéré sur trois plans.
—L’autonomisation de la sphère économique assimilée au marché constitue le premier plan. L’occultation du sens substantif de l’économie débouche sur la confusion entre l’économie et l’économie marchande. Cette assimilation est rendue possible dès que l’économie devient une science de la richesse, centrée sur l’allocation des moyens en situation de rareté. Pourtant F. Braudel y a suffisamment insisté, l’économie de marché n’est qu’un fragment d’un ensemble plus vaste et la focalisation sur elle seule invisible « la vie matérielle ».
—L’identification du marché à un marché autorégulateur constitue le deuxième plan. Les hypothèses rationaliste et atomiste sur le comportement humain autorisent l’étude de l’économie à partir d’une méthode déductive par agrégation de comportements individuels, sans considérations pour le cadre institutionnel dans lequel ils prennent forme. Considérer le marché comme autorégulateur, c’est-à-dire comme mécanisme de mise en rapport de l’offre et de la demande par les prix, conduit à passer sous silence les changements institutionnels qui ont été nécessaires pour qu’il advienne et à oublier les structures institutionnelles qui le rendent possible. L’explication du marché par la maximisation du gain masque qu’il relève d’un processus institutionnalisé.
—A ces deux plans développés par K. Polanyi, on peut en ajouter un troisième sur lequel ont insisté beaucoup d’autres auteurs : l’identification de l’entreprise moderne à l’entreprise capitaliste. Dans une économie fondée sur la propriété privée des moyens de production, la création de biens suppose un profit possible pour les détenteurs de capitaux. L’entreprise est une « unité économique de profit » pour reprendre les termes de M. Weber.
Mais sur les trois plans qui viennent d’être mentionnés, la société réagit.
—Contre la réduction de l’économie au marché, les principes de la redistribution et de la réciprocité sont mobilisés. Un autre pôle est tout aussi constitutif de la modernité démocratique que l’économie marchande, celui de l’économie non marchande qui correspond à l’économie dans laquelle la circulation des biens et services est confiée à la redistribution. Elle fait reposer l’affectation des ressources sur une décision prise par une autorité centrale, en l’occurrence l’État social qui, confère aux citoyens des droits individuels, grâce auxquels ils bénéficient de protections. Au moment où celui-ci est considéré comme étant en crise, de nombreuses initiatives s’efforcent néanmoins de trouver de nouvelles bases pour faire rentrer la réciprocité dans l’espace public ; elles correspondent aux relations établies entre des groupes ou personnes qui ne prennent sens que dans la volonté de manifester un lien social entre les parties prenantes. Ainsi, des dynamiques d’économie solidaire se font jour que ce soit à travers les finances et monnaies sociales ; le commerce équitable, les entreprises sociales, …
—Contre la confusion entre marché et marché autorégulateur, un cantonnement du marché s’opère par son encadrement institutionnel. Des législations peuvent être introduites pour « socialiser » le marché, c’est-à-dire l’inscrire dans un ensemble de règles dont l’édiction résulte de décisions politiques. Loin de correspondre à la norme du marché concurrentiel parfait, les marchés existants peuvent être régulés.
—A ceci, s’ajoutent des tentatives pour fonder et donner droit de cité à des entreprises non capitalistes. Contrairement aux entreprises capitalistes, certaines entreprises ne sont pas détenues par les investisseurs, mais par d’autres types de parties prenantes et, par conséquent, leurs objectifs se différencient de l’accumulation du capital. Dans l’évaluation de l’activité économique, ce sont d’autres critères que la rentabilité financière qui sont alors valorisés : l’accès à un approvisionnement, la qualité de prestation d’un service … Parmi les entreprises attestant de la diversité des types de propriétaires, figurent celles détenues par les travailleurs, les consommateurs… Elles relèvent de statuts juridiques regroupés sous l’appellation d’économie sociale, où la lucrativité est limitée et où la constitution d’un patrimoine collectif est favorisée (mutuelles, coopératives, associations).
L’économie marchande n’est donc pas la seule forme d’économie, pas plus que l’entreprise de capitaux n’est la seule forme d’entreprise. Il s’agit tout en reconnaissant la légitimité de l’économie de marché de déconstruire le réductionnisme qui interprète toute forme économique à partir du seul intérêt matériel. L’étude historique et empirique des phénomènes économiques met en évidence leur réalité plurielle. Cette diversité est à examiner en étudiant diverses évolutions contemporaines ; par exemple l’ouverture du service public à l’expression des citoyens qui en sont les usagers, en supprimant les discriminations négatives dont sont victimes les associations, l’introduction dans la législation d’entreprises dans lesquelles la propriété n’appartient pas aux détenteurs de capitaux mais aux parties prenantes de l’activité, l’encadrement institutionnel du marché par des règles ayant trait à la justice et aux droits sociaux.

DEROULEMENT

L’œuvre de K. Polanyi, dont l’actualité éditoriale en France mérite d’être signalée (numéro spécial de la Revue du Mauss – juin 2007 ; publications d’essais inédits en français – Le Seuil, 1er trimestre 2008) est abordée sous différents angles qui en soulignent l’originalité. Elle fournit un cadre théorique qui permet en particulier de rendre compte des innovations socio-économiques présentées précédemment.

Consultez la liste des participants :

Temps de lecture : 13 minutes
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