Un sursaut inespéré

Michel Soudais  • 17 juin 2007
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La force de la vague bleue annoncée a singulièrement faibli, dimanche, au soir du second tour des législatives. La dénonciation du projet d’instauration d’une TVA pseudo-sociale, thème lancé par Laurent Fabius au soir du premier tour, a permis de limiter l’ampleur de victoire de la droite inscrite dans le résultat du premier tour.

Certes, l’UMP obtient la majorité des sièges dans la nouvelle Assemblée nationale. Le parti sarkozyste aura 314 députés alors qu’il lui suffisait d’en obtenir 289 pour être majoritaire seul. Mais cette majorité est moins importante que prévue et le parti du Président de la République perd une quarantaine de sièges par rapport à l’Assemblée sortante. Et l’échec du numéro deux du gouvernement, Alain Juppé , à Bordeaux, fait presque oublier que les ex-UDF du Nouveau Centre compteront 21 élus et sont en mesure de constituer un groupe au Palais Bourbon.

Le PS et ses alliés (PCF, PRG, Verts…) gagnent plus de 50 sièges par rapport à 2002. Compte tenu de l’élection dès le 10 juin de 109 députés UMP-Nouveau Centre-MPF, la gauche se paie même le luxe une semaine plus tard de faire jeu égal avec la droite en gagnant près de la moitié des 467 sièges encore en jeu.

A 20 heures, l’annonce de ces résultats ont été salués par des applaudissement au siège du PS, rue de Solferino. Ces applaudissements pour une défaite peuvent sembler aussi incongrus et surréalistes que la déclaration de Ségolène Royal au soir du second tour de la présidentielle, si l’on oublie qu’au soir du premier tour les prévisions les plus pessimistes des instituts de sondage accordaient à peine 100 sièges à la gauche.

Le PCF , avec 18 élus (dont deux apparentés), semble en mesure de conserver un groupe dans la nouvelle Assemblée nationale: un MRC -seul élu de son parti- dans le Nord pourrait le rejoindre, de même que la députée du PCR, Huguette Bello (La Réunion). Dimanche soir, Noël Mamère, réélu en Gironde, s’est en outre dit favorable à la constitution d’un groupe parlementaire commun des Verts (quatre élus) avec les communistes.

Record d’abstention

Ce sursaut de l’électorat de gauche, qui a transformé le tsunami bleu annoncé en petite vague, est d’autant plus inespéré qu’il n’avait été annoncé par aucun sondage. Il surprend d’autant plus qu’il intervient sur fond de dissensions étalées au grand jour au PS, sonné par l’échec de sa candidate Ségolène Royal à la présidentielle et en pleine crise de leadership et de projet. Une crise qui a connu un nouveau développement dimanche soir, vers 22h00, avec l’annonce officielle d’une séparation du couple Hollande-Royal.

Ce retournement se produit aussi alors que la participation a encore diminué (légèrement) entre les deux tours: 40,01% selon la totalisation définitive du ministère de l’Intérieur. C’est un nouveau record pour des élections législatives sous la Ve République après les 39,69% du second tour de 2002. Les premières données indiquent toutefois qu’on a moins voté dimanche dans les zones de force de la droite que dans celles où le PS est fort ou qui avaient donné le dessus à Ségolène Royal le 6 mai.

L’effet «TVA sociale»

La polémique sur l’instauration d’une TVA dite sociale aura vraisemblablement confribué à cette remobilisation des électeurs de gauche. C’est sur le plateau de TF1, au soir du premier tour, que le coup est parti. Interpellé par le socialiste Laurent Fabius , Jean-Louis Borloo refuse de se prononcer devant des millions de téléspectateurs sur une éventuelle augmentation de la TVA pour financer le plan pour la fiscalité et l’emploi: «On va regarder l’ensemble des sujets (…), y compris l’éventualité de la TVA. Rien n’est tranché dans ce domaine.» Le lendemain, 11 juin Premier ministre François Fillon annonce vouloir «ouvrir le chantier de la TVA sociale» , précisant que le gouvernement n’entend pas «alourdir les impôts» ni «augmenter la TVA pour boucher les trous» . Cette annonce suscite un tollé à gauche. Laurent Fabius, qui assure le point de presse quotidien du PS, le 12 juin, enfonce le clou: «Je constate que cette idée se précise et que face aux friandises fiscales, la TVA sociale, qui n’a de sociale que le nom, va frapper tous les Français et se révéler antisociale.» Il accuse Fillon de vouloir financer les «cadeaux fiscaux» faits aux riches en frappant au porte-monnaie de l’ensemble des Français. Et en tire un argument électoral: «A chaque bulletin électoral à droite, on augmente la TVA pour financer quelques avantages à certains au détriment d’une ponction sur le pouvoir d’achat de tous.
Ce matin, Monsieur Arthuis dans une interview au journal Les Echos, précise même qu’il a un projet d’augmentation de 5%. C’est énorme et injuste.»

Néanmoins, le gouvernement s’obstine. Une mission de réflexion sur la TVA sociale est confiée aux membres du gouvernement Jean-Louis Borloo et Eric Besson. François Fillon parle de «TVA anti-délocalisations» et affirme que l’augmentation de la TVA ne financera pas les dépenses de l’Etat. Le 13 juin, le porte-parole du PS appelle à voter «contre la TVA à 24,6%!» . Annonce est faite que dès le jeudi toutes les fédérations socialistes se mobiliseront autour de ce nouveau thème de campagne. Dans le Rhône, Jean-Jack Queyranne a ainsi fait campagne conte «l’impôt Sarkozy» . Pour François Hollande «Fillon a fini par avouer ce que l’on savait, ce qu’on l’on pressentait déjà» et fustige une «TVA anti-consommation» . Si celle-ci voit le jour, Eric Besson (le Judas qui a rejoint Sarkozy) admet que la hausse des prix est «un risque potentiel» . Ce que confirme une étude de Bercy de 2004, dont les conclusions, dévoilées le jour même du scrutin par le Journal du dimanche , n’ont pas dû arranger les affaires du gouvernement. Selon un sondage publié le 14 juin, 60% des Français étaient déjà opposés à ce nouvel impôt qui ne dit pas son nom.

La droite maintient son projet

Plusieurs dirigeants de la droite ont admis, dimanche, l’impact négatif de cette mesure, sans pour autant la remettre en cause. «Nous avons pâti au cours de cette semaine de déclarations sur la TVA sociale qui n’ont pas été comprises par les Français, qui les ont inquiétés» , a estimé Renaud Dutreil , élu député UMP à Reims. Pour l’ex-ministre des PME, le ministre de l’Economie Jean-Louis Borloo «devra s’expliquer sur les raisons de cette erreur» . Selon lui, sans le communiqué du président de la République qui «a remis les
pendules à l’heure»
[^2] la sanction électorale aurait été plus forte encore et le gouvernement doit tirer «les leçons de cette erreur majeure
de communication»
qui a privé l’UMP de «beaucoup de voix en France» au second tour des élections législatives.

De son côté, la ministre de la Culture et porte-parole du gouvernement, Christine Albanel, a regretté sur TF1 qu’ «on agite sans arrêt une TVA sociale qui n’est pas à l’ordre du jour» . Voudrait-elle que l’opposition s’enquiert auprès d’elle des sujets qu’elle serait désormais autorisée à évoquer?

[^2]: Jeudi, le président Nicolas Sarkozy a déclaré dans un communiqué qu’il «n’acceptera aucune augmentation de la TVA (…) qui aurait pour effet de réduire le pouvoir d’achat des Français» .

Temps de lecture : 6 minutes
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