Allègre et la Charte, sans mémoire ni recul

Michel Soudais  • 25 octobre 2007
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Il paraît que c’est l’information politique du jour: Claude Allègre va quitter le PS. Ah bon, il y était encore? Remarquez ce doit être vrai puisqu’il l’a annoncé ce matin sur Europe 1. Résultat, les agences de presse ayant repris ses propos, tous les sites internet des médias (Libération, le Monde ou le Figaro, pour ne citer qu’eux) et même Le Monde dans son édition de l’après-midi (dans une brève), ont repris reprennent ce qui ressemble à une info. Sauf que ce n’est pas une nouvelle fraîche. L’ancien ministre beauf’ de Jospin avait déjà annoncé le 30 août, sur RTL, qu’il ne reprendrait pas sa carte [^2].

Ainsi va l’information à l’ère d’internet. Sans mémoire, ni recul.

Deux proclamations…

Le tintamarre que l’on sent déjà poindre au sujet de la maigrelette Charte européenne des droits fondamentaux en fournit un autre exemple. Jeudi dernier, à la sortie du Conseil européen de Lisbonne, on apprenait par l’AFP que «la Charte des droits fondamentaux, l’une des principales innovations du nouveau traité européen (sic) *, sera solennellement « proclamée » le 12 décembre à Strasbourg au Parlement européen, à la veille de la signature à Lisbonne du nouveau traité.»* Cette cérémonie se fera en présence des «présidents des trois institutions européennes (Conseil européen, Parlement européen et Commission européenne), a indiqué vendredi le président du Parlement Hans-Gert Poettering» .

Je comprends que ce monsieur Poettering, leader de la droite PPE au parlement européen ait envie de rendre acceptable un traité sans ambition, peut-être même de se faire mousser. Mais rien ne nous oblige à reprendre ses propos, sans discussion, ni rappel historique.

Car, avec cette proclamation, on essaie de nous vendre deux fois la même camelote. Cette Charte a déjà été proclamée, le 7 décembre 2000, à l’ouverture du sommet de Nice . Je concède que la cérémonie s’était déroulée presque à la sauvette, les Quinze (alors) se contentant de la signer sans aucune déclaration, contrairement à ce qui était prévu, juste après la dispersion musclée de milliers de manifestants venus réclamer «plus d’Europe sociale» . Co-signataire du texte, la présidente du Parlement européen, Nicole Fontaine, avait d’ailleurs fait connaître son désaccord dans un communiqué, ajoutant qu’elle considérait désormais la charte comme «la loi de l’Assemblée (européenne) élue au suffrage universel» .

…mais une portée limitée

On me dira que la Charte des droits fondamentaux était alors sans valeur juridique, tandis que là, depuis l’accord de Lisbonne, elle en aura une. Soit. Néanmoins, cela ne changera pas grand chose.

Notez déjà que le Royaume-Uni et la Pologne, qui craignaient que la Cour européenne de justice s’appuie sur la Charte pour leur imposer de nouveaux droits (droits sociaux pour Londres ou droits individuels comme le mariage homosexuel pour Varsovie), ont obtenu une dérogation à son application [^3]. Cela montre bien que l’UE accorde peu d’importance aux droits sociaux contrairement à l’intérêt qu’elle porte pour tout ce qui touche au fonctionnement du Marché intérieur et à la liberté des capitaux. Allez donc essayez d’obtenir des dérogations au droit de la concurrence!

Quant à la portée juridique et émancipatrice de ladite Charte, je maintiens qu’elle sera extrêmement limitée. J’en avais fait la démonstration lors du débat sur la «Constitution» européenne dans Politis , vous pouvez vous y reporter. Je ne retire pas une ligne à ce que j’avais écrit alors.

Malgré ces réserves, parions que la Charte des droits fondamentaux, ses «innovations» et sa soi-disant «avancée», seront invoquées plus d’une fois pour justifier l’adoption du traité de Lisbonne. Ségolène Royal a déjà ouvert la voie dans son entretien à Libération [^4] , lundi.

[^2]: «Je ne reprendrai pas ma carte au mois de janvier. Je me mets de côté (…) Cela me fait mal au coeur parce que cela fait 34 ans que je suis membre de ce parti» , avait-il déclaré alors. Pour les maniaques de la vérification, je signale que cette annonce avait donné lieu à une dépêche AFP dont voici la référence: 4 BA60 FRS 0105 300807-08h20.

[^3]: La Pologne devrait finalement adhérer à la Charte si l’on en croit la déclaration qu’a faite Jacek Saryusz-Wolski immédiatement après l’annonce de la victoire écrasante de la Plateforme civique, dimanche soir

[^4]: «Je crois que ce traité, même imparfait, peut remettre l’Europe en marche. J’aurais préféré un texte avec moins de dérogations. Mais mieux vaut un compromis que rien. L’intégration de la Charte européenne des droits fondamentaux est une avancée très importante. C’est pourquoi nous devons faire bloc avec les socialistes portugais, espagnols, allemands et les autres, et adopter ce texte…»

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