Dans les petits papiers de Solferino

Michel Soudais  • 5 décembre 2007
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Le document que je veux vous présenter est inédit. Il s’agit, selon les termes du député et secrétaire fédéral du Finistère, Jean-Jaqcues Urvoas, qui l’a diffusé à quelques cadres socialistes, d’ «une première ébauche de ce que pourrait être une charte des droits, ou du moins dans sa forme actuelle, une déclaration des droits» . A la lecture de cette esquisse, que vous pouvez consulter en intégralité au bas de ce post, certains suspecteront un poisson d’avril hors de saison. J’atteste néanmoins de l’authenticité de ce texte et de sa destination. Explications: Samedi 24 novembre, à Avignon, le premier «forum de la rénovation» du PS sur «le socialisme et la nation» aurait dû être l’occasion de présenter aux militants un projet de «charte des droits» d’un genre nouveau. C’était du moins l’idée émise lors du lancement des trois chantiers de la rénovation cet été. Aucun document de ce genre n’a été présenté ce jour-là. Et pourtant l’idée n’est pas abandonné puisque, dans son discours, François Hollande a annoncé que les socialistes allaient écrire, dans «les mois qui viennent» , «une charte de la citoyenneté du XXIe siècle» qui serait, dans le prolongement de ce forum, «le projet de la République, (…) le projet de la nation» .

Une première mouture de cette charte existe. Elle a été diffusée par Jean-Jacques Urvoas, le président de la commission en charge de ce forum, dans un mail adressé à tous les membres de cette commission, sans que celui-ci formule la moindre critique ni la plus petite réserve quant au contenu du texte transmis. Rédigé par un certain Charles Morel, dans une langue et un style aussi clairs que les discours de Ségolène Royal, cette déclaration des droits commence ainsi:

«Les socialistes, rassemblés par le souci du monde, conscient du poids de souffrance qui pèse sur cette planète comme de la capacité d’aveuglement d’une espèce humaine en surchauffe médiatique et climatique, envoûtée par la richesse matérielle et oublieuse de son prochain,…»

Suit près de deux pages de «considérants» qui n’oublient de mentionner ni «l’évolution des mœurs» ni «la mondialisation des phénomènes économiques et sociaux» , et concluent à la nécessité de refonder «le contrat social à l’échelle nationale et planétaire et que les droits initialement proclamés doivent être, d’une part, reformulés à la lumière des réalités contemporaines» .
Raison pour laquelle le texte énonce les droits suivants:
– le droit de jouir a minima (sic) des biens de première nécessité…
– le droit à un travail digne (…) considéré non pas en creux à travers le contrôle théorique du respect apparent de la réglementation par l’employeur mais à partir de l’examen de la situation concrète de la personne employée.
– le droit à un environnement sain, opposable à l’Etat…
– l’égalité d’accès au savoir citoyen (re-sic), c’est-à-dire non pas seulement ce qui permet l’insertion minimale dans la société (acquisition des connaissances de base) ou l’employabilité (re-re-sic) des individus (acquisition des savoirs professionnels) mais le corpus minimal de connaissances théoriques et pratiques nécessaires à un choix électoral éclairé. Le corpus minimal des électeurs éclairés sera-t-il sanctionné par un permis de voter?

J’arrête, il y en a treize comme ça! Les membres de la commission eux-mêmes auraient dit stop. Razzye Hammadi, qui en était l’un des rapporteurs, nous a assuré embarrassé que ce texte avait été «retoqué» le vendredi 16 novembre. Dans ce cas, pourquoi Jean-Jacques Urvoas l’a-t-il diffusé par mail le lundi 19 novembre? L’ancien président du MJS plaide «l’erreur» . Si c’en est une, elle est aussi incompréhensible que la commande initiale. Car qui est le penseur-poète à l’origine de ce texte?

Inconnu des membres de la commission, membre d’aucune instance dans le PS, Charles Morel, contacté par téléphone, se dit lui-même «dans les alentours» , et se décrit comme «un simple militant du PS depuis longtemps» . S’il dit volontiers avoir participé à l’organisation des caravanes pour défendre le traité de Maastricht en 1992, et avoue qu’il souhaitait la candidature de Dominique Strauss-Kahn pour qui il aurait fait quelques notes, cet avocat de profession est plus discret sur les gens qui l’ont sollicité pour écrire son «ébauche». Eux, en tout cas, devaient forcément connaître ses idées puisqu’il avait déjà eu l’occasion de les exprimer publiquement.

Militant anonyme au PS, Charles Morel n’est en effet pas tout à fait un inconnu dans la blogosphère puisque Versac l’avait interviewé, le 30 août, à la sortie d’une table ronde de l’université du Medef à l’intitulé prometteur: « Poser des bombes, faire la révolution ou penser la reforme. » On peut avoir une idée du point de vue qu’il y développait sur le sarkopithèque. Mais la vidéo de Versac, nous apprend qu’on peut
– être socialiste et souhaiter que Nicolas Sarkozy réussisse (si, si, si…!!) afin que la gauche qui lui succédera puisse «prolonger les réformes qui auront réussis avec une autre approche» ,
– être socialiste et penser que la «culture contestataire» des syndicats et la façon dont «les fonctionnaires pensent leurs droits acquis totalement irréversibles et indiscutables» sont des problèmes.

Mais le mieux est de vous laisser découvrir ce discours en faveur d’une gauche qui «repense ses valeurs débarrassées de ses scories gauchistes» .

Décoiffant, non? Il faut s’y faire: dans un parti en pleine déliquescence doctrinale, il n’est pas surprenant de croiser des socialistes non-croyant et non-pratiquant. Comme le disait récemment Danielle Mitterrand, «ce n’est pas parce qu’on prend une carte qu’on est socialiste» . Surtout quand le prix des dites cartes ne cessent de baisser! Ce matin, sur France inter, Julien Dray, théoricien d’un alliance arc-en-ciel de Bayrou à Bové, évoquait la possibilité de les solder (je ne vois pas d’autre verbe) à 5 ou 6 euros… Pour dissoudre le PS définitivement, on ne peut pas rêver mieux.

Temps de lecture : 5 minutes
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