Bruno Dély Ou Renaud Mégret?

Sébastien Fontenelle  • 9 octobre 2009
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Renaud Dély est ce journaliste courageux qui, du temps qu’il officiait à Libération , aimait à se poser, par la récitation appliquée de lais thatchériens, en fidèle disciple de son barbichu big boss , Laurent Joffrin.

Par exemple, quand Laurent Joffrin déplorait, dans un (burlesque) bouquin paru en 2007, qu’ «une série de tabous et de totems» collectivistes « pèse encore» sur le Parti «socialiste» français, trop lent (d’après lui) à se donner complètement au capitalisme, Renaud Dély, de son côté, ambitionnait, dans un (burlesque) bouquin paru en 2006, de briser (enfin) « les tabous de la gauche» , trop lente (d’après lui) à se donner complètement au capitalisme.

Depuis, Renaud Dély a fait du chemin: il est devenu directeur-adjoint de l’hebdomadaire Marianne – où il éprouve, comme l’a souligné, taquin, Frédéric Lordon, «un peu de mal à se faire à son nouvel employeur, qui lui commande de fracasser tout ce qu’il a toujours adoré» [^2].

Pour autant: ses (burlesques) écrits témoignent de cette adoration, et de son attachement, notamment, à l’idée, follement novatrice, que «la gauche parviendra mieux à retrouver une identité en assumant son ancrage dans une société libérale» [^3].

Or, tu en conviendras: Bruno Mégret, du temps qu’il émargeait au Front national, était, lui aussi, un fervent partisan de la société libérale.

De sorte que nous serions très fondés à considérer que Dély vaut Mégret (et inversement) – si du moins nous pratiquions la discipline intellectuelle où Dély se distingue par de belles performances: l’amalgame délirant.

Ainsi, dans un nouveau bouquin spécialement incommodant (même à l’aune de sa production habituelle), Dély, que la gauche de gauche insupporte décidément, se donne pour mission d’en finir avec «Besancenot, l’idiot utile du sarkozysme» .

Son propos – toujours très original – est qu’ «Olivier Besancenot est le meilleur allié de Sarkozy» , et qu’il représente un «danger profond» , puisque, «plutôt que d’apaiser, rassembler souder les Français face aux difficultés» , il «oppose catégories et communautés, «gros» et «petits», «exploités» et «profiteurs», etc.».

Rien de nouveau, tu l’auras compris: nous retrouvons là, intacte, inchangée, l’idée, ancienne, et qui depuis tant d’ans ravit le patronat, que si tu défends les (petits) exploités contre les (gros) profiteurs, tu es un fauteur de guerre civile (et que tu ferais mieux de t’abandonner sans résister aux justes inégalités de la société de marché, enc* de poujadiste).

Rien de neuf, donc: Laurent Joffrin, pour ne citer que lui, a déjà dit qu’au fond, mâme Dupont, dans la France des années 2000, «le problème, c’est les trotskistes – y a trop de trop de trotskistes» .

(Puissance de l’expertise barbichue…)

Mais Renaud Dély creuse avec obstination un sillon particulier: il veut montrer au monde qu’Olivier Besancenot, en réalité, ne s’appelle pas (du tout) Besancenot, mais Le Pen.

Dès la page 13 de son nouvel ouvrage, il énonce donc «qu’il y a bien quelque chose de Jean-Marie chez Olivier» – après quoi, probablement ébloui par sa propre perspicacité, il ajoute que: «Oui, Besancenot est bien le Le Pen de la gauche» [^4].

Il faut cependant attendre la page 132 (et, put**, que c’est long) pour qu’arrive enfin la démonstration (en trois points), minutieusement argumentée, de cet audacieux théorème – et là, il faut bien l’avouer: Dély donne (dans un chapitre plaisamment titré «Olivier Le Pen ou Marine Besancenot?»* ) le meilleur de lui-même.

Je te supplie d’être un peu attentif: ça va très vite, c’est fulgurant, c’est du très haut Dély.

Un: Besancenot «agit avec le contenu programmatique de l’extrême gauche exactement… comme le fait Marine Le Pen avec celui de l’extrême droite!»

(Noter, ici, le point d’exclamation, témoin de la stupéfaction de l’auteur quand il a découvert qu’Olivier Le Pen était le clone de Marine Besancenot!!!!!)

Deux: «Olivier Besancenot dépoussière la Ligue et relègue au rayon des accessoires la référence archaïque et pesante à Trotski, comme Marine Le Pen époussette le FN en cachant sous le tapis la nostalgie pétainiste de son père et ses obsessions négationnistes sur la Shoah» .

Trois, pour conclure: «Besancenot = Le Pen, oui, mais Olivier ressemble à Marine, et inversement» .

(Trotski, pétainiste, négationnistes: tu auras, je suppose, identifié dans la juxtaposition de ces quelques mots l’amorce d’une (courageuse) dénonciation de l’hitléro-trotskisme – où s’entrevoit que les staliniens, mâme Dupont, ne disaient pas non plus que des conneries.)

Je résume, pour le cas où tu aurais un peu de mal à saisir les subtilités de la pensée délique: Besancenot, c’est Le Pen, et Le Pen, c’est Besancenot.

Et je suis comme toi: je trouve que Dély est quand même formidablement courageux, d’oser poser en équation que la gauche = l’extrême droite.

Mais, comme toi, je m’inquiète: est-ce que sa folle audace ne risque pas de lui jouer des tours?

Est-il bien prudent de stigmatiser la gauche quand la droite règne sans partage sur le pays?

Fort heureusement: Dély n’est pas complètement seul, dans sa croisade pour la vérité.

Pas plus tard que ce matin, Ivan Rioufol, bloc-noteur au «Figaro» , lui apporte un prompt renfort, qui juge, quant à lui, que, «le FN et le PS unis dans une même chasse à l’homme» contre Frédéric Mitterrand?

C’est «la révélation de la semaine» .

Dély et Rioufol se partagent, en somme, le boulot: quand l’un énonce que «Besancenot = Le Pen» , l’autre ajoute que PS = FN.

Dans la vraie vie, naturellement, si nous devions chercher dans l’époque un effluve lepénique, nous ne nous tournerions pas forcément vers chez Besancenot (ou vers chez Hamon).

Nous nous en remettrions plutôt à l’avis (autorisé) d’un spécialiste, Daniel Simonpieri, ex-maire de Marignane revenu du Front national vers l’UMP, d’après qui: «Beaucoup d’électeurs FN ont constaté que Nicolas Sarkozy disait les mêmes choses que Le Pen, mais que lui avait une chance de les mettre un jour en application» .

Mais Kozy peut dormir sur ses deux oreilles: jamais Renaud Dély n’écrira(it) que Sarkozy = Le Pen.

Le gars n’est pas fou.

Kozy n’a aucun souci à se faire: durant qu’il règne, Dély et Rioufol, parmi (tellement) d’autres, se chargent de remplacer la réalité par une réalité-bis, où c’est la méchante gauche qui prend modèle sur le FN.

Ah, les bons et loyaux sujets.

[^2]: La Crise de trop , par Frédéric Lordon, Fayard, 2009.

[^3]: Les Tabous de la gauche , par Renaud Dély, Bourin, 2006.

[^4]: Suivant ce rigoureux principe, tu pourrais, par exemple, déclarer qu’il y a bien quelque chose de Bozo le Clown chez Renaud Dély, puis confirmer que, oui, neffet, Renaud Dély est bien le Bozo le Clown de la presse hebdomadaire.

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