«Hooooonnnnn-Haaaaa-Tuuuuu-Haaaaa-Tiooooonz-Hooooo-Haaaaan-Hooooo-Hiiiiin»

Sébastien Fontenelle  • 4 octobre 2009
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  1. Un glaçant phénomène réveille toutes les nuits, ces temps-ci, des habitant(e)s de Simi Valley (USA): selon plusieurs centaines de témoins terrifiés, «vers deux heures du matin, une voix d’outre-tombe» psalmodie, obsessivement, «quelque chose comme «hooooonnnnn-haaaaa-tuuuuu-haaaaa-tiooooonz-hooooo-haaaaan-hooooo-hiiiiin», et ça fout salement les jetons, croyez-moi» .

Rejetant ( «catégoriquement» ) l’idée (affolante) qu’une (hideuse) entité lovecraftienne ait pu se réveiller pile sous la Californie ( «merde alors, déjà que ces pauvres gens doivent se fader Schwartzenegger, faut pas non plus exagérer» ), les (plus fins) limiers du FBI ont finalement résolu l’énigme: «Pour sidérant que cela puisse paraître, nous sommes arrivés à la conclusion que ces hurlements sont ceux du défunt président Ronald Reagan, qui, du fond du tombeau, lance des encouragements à un journaliste français barbichu, directeur d’un quotidien néo-patronal très engagé dans la défense de la droite golpiste latino-américaine» .

Expliquent-ils.

Et de préciser: «Le défunt ne crie pas (du tout) «hooooonnnnn-haaaaa-tuuuuu-haaaaa-tiooooonz-hooooo-haaaaan-hooooo-hiiiiin»» .

Mais bien plutôt: «Congratulations, Laurent Joffrin»

Le Federal bureau of investigation conclut: «Le fait est que, selon nos informations, l’intéressé, que d’aucun(e)s tiennent pour un «burlesque pitre» _, serait l’ultime représentant, chez les bouffeurs de camembert, de l’orthodoxie reaganique la plus obtuse»_ .

  1. Et en effet: Libé , depuis quelques semaines, s’illustre par des prises de position qui évoquent irrésistiblement la plus répugnante propagande US des années 1980 – quand les Yankees, rappelle-toi, confectionnaient (ou faisaient confectionner) dans leur arrière-cour d’Amérique latine du hachis de gauchistes (avec de gros morceaux d’ecclésiastiques passés à l’ennemi sous le fielleux prétexte d’une «théologie de la libération» qui sentait si fort le Комитет государственной безопасности (KGB), qu’on l’appelait Igor).

  2. Ainsi, comme le rappelle très opportunément le nouveau numéro du Plan B : dès le 29 juin dernier, au lendemain du putsch militaire qui vient de renverser le président démocratiquement élu Manuel Zelaya[^2], le journal de Laurent Joffrin (se) demande, très sérieusement, s’il s’agit «vraiment d’un coup d’État» , s’il y a «eu un véritable coup d’État au Honduras» , ou si nous ne serions pas plutôt en présence, Hortense, d’une «succession constitutionnelle» ?

Comme le souligne Le Plan B : «Pour une majorité de Honduriens, la réponse est un peu moins «complexe». Bravant le couvre-feu des généraux, des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues de la capitale le 2 juillet pour réclamer le retour de Zelaya. L’armée ouvre le feu sur des paysans qui tentaient de rejoindre le cortège. La Commission interaméricaine des droits de l’homme recensera 4.000 arrestations arbitraires, de nombreux cas de torture, au moins quatre manifestants tués par balle et des dizaines de blessés» .

(Ci-dessous, un document rare: des barbichistes honduriens veillent au bon déroulement de la succession constitutionnelle en songeant qu’il serait quand même temps, Ramon, de s’abonner à Libération .)

  1. Marianne confirme cette semaine, dans un entrefilet, que les nuits du Honduras, depuis le début de l’été, sont assez chaudes pour le petit peuple: «Les avocats honduriens tentent malgré tout de raconter les violations quotidiennes des droits de l’homme pendant le couvre-feu imposé sur tout le territoire: «La nuit (…), c’est la terreur des bottes, des casques, des uniformes. Des véhicules militaires patrouillent dans les quartiers, des policiers tirent sur les maisons. Et, à tout vitesse, les camions remplis de citoyens frappés, humiliés, ensanglantés roulent vers les commissariats. Le couvre-feu est le moment parfait: sans caméras, sans témoins, sans droits constitutionnels»» .

A priori : on dirait un peu le Chili d’il y a vingt ans, by night .

Mais Libé ne s’en laisse pas compter par la propagande néo-bolchevique des ami(e)s de Jean-François Kahn: dans un article particulièrement abj… Courageux publié hier matin, sa «correspondante à Sāo Paulo», Chantal Rayes ( also known as Marguerite Honduras), observe que «le président hondurien déchu, Manuel Zelaya» , revenu «clandestinement au Honduras le 21 septembre» dernier et réfugié, depuis, à l’ambassade du Brésil, «est un hôte encombrant» , qui a le pénible toupet de multiplier «les appels à la désobéissance civile depuis l’enceinte diplomatique brésilienne, toujours assiégée par les forces du gouvernement de facto» des putschistes[^3].

Pire: «Les cinquante partisans de Zelaya qui ont trouvé refuge avec lui dans l’ambassade ont pris le contrôle des lieux» – où ils se livrent, narre Chantal Rayes, à des exactions autrement plus atroces que celles des militaires putschistes, puisque, tiens-toi bien, «un journaliste du quotidien de Sāo Paulo Folha a ainsi dû se soumettre à un contrôle de passeport effectué par un militant encagoulé à la porte de l’ambassade de son propre pays – et n’a été autorisé à entrer qu’après intervention du chargé d’affaires, le seul diplomate brésilien présent» .

Tu avoueras que c’est là une violence nettement supérieure à celle des soldats hors-la-loi qui, la nuit, remplissent leurs camions de citoyen(ne)s ensanglanté(e)s – et dont la correspondante de Libé , la tenant manifestement pour négligeable, préfère ne pas (du tout) parler.

La digne Chantal, citant un «analyste» et un «politologue» brésiliens, (nous) livre alors le fin mot de l’histoire: Zelaya n’est pas tant, au jour d’aujourd’hui, la victime d’un coup d’état d’extrême droite, que le chef d’un «gouvernement rebelle» – et «le Brésil a commis une très grave erreur» en lui ouvrant les portes de son ambassade de Tegucigalpa.

  1. Libé , donc, si je résume, ne hait point complètement les putschistes honduriens qui ont renversé Manuel Zelaya, que de sot(te)s démocrates continuent de considérer comme un président démocratiquement élu, mais qui est, en réalité, un «rebelle» qui fait rien qu’à faire chier le monde (au lieu de respecter les règles d’une paisible succession constitutionnelle).

Devons-nous en tirer la conclusion que Libé se pâme à chaque fois qu’une soldatesque (ou une policesque) initie les masses aux suavités de la répression?

Nenni, ami(e): je te rappelle que nous parlons ici d’un journal dont même Laurence Parisot convient qu’il est (délicieusement) de gauche.

D’ailleurs, comme le souligne aussi Le Plan B , quand «des manifestations sévèrement réprimées réclament à l’âne barbichu» Ahmadinejad «qu’il rende au peuple» iranien des «bulletins» de vote «volés» , Libé , pour le coup, «célèbre une «génération nouvelle d’Iraniens» qui «contestent l’honnêteté du scrutin» à la barbe d’une «dictature» pilotée par un «gouvernement de coup d’État»» .

(Ci-dessous: une mahométane fréquentable – à ne (surtout) pas confondre avec ses coreligionnaires d’Aubervilliers.)

Par contraste, il faut y insister un peu lourdement: les pustchistes honduriens, après leur coup d’État, forment, rappelle-toi, un gouvernement de facto , dont il convient d’entériner l’avènement, et non, que vas-tu imaginer là, un gouvernement de coup d’État; et c’est justement ce contraste qui explique (j’y arrive, c’était un peu long, mais on n’est pas non plus aux pièces) l’ovation, du fond de son mausolée californien, de Ronnie «Better dead than red», qui a parfaitement mesuré que Libé continuait de porter haut, dans son appréhension du monde, les (vives) couleurs du reaganisme – il faut, pour bien le comprendre, remonter un peu le temps.

  1. En 1988, Noam Chosmsky et Edward S. Herman, se livrent, dans un essai devenu depuis un classique – Manufacturing Consent – à une édifiante étude comparative, dont la conclusion est que le New York Times a consacré, en 18 mois, 78 articles (dont 10 articles montés en une) à l’assassinat du père Popieluszko, tué en Pologne au mois d’octobre 1984, mais sept papiers seulement – et pas un seul en une – aux 23 religieux (parmi beaucoup d’autres en Amérique latine) assassinés au Guatemala entre 1980 et 1985.

Chomsky et Herman appellent cela «une comparaison instructive (…) entre le traitement médiatique attribué au père Jerzy Popieluszko, un prêtre catholique assassiné en octobre 1984 par la police d’un État «ennemi» – la Pologne – et celui dont on bénéficié d’autres membres du clergé catholique, massacrés en pleine zone d’influence des États-Unis: le premier, considéré comme une victime méritante _, a été jugé digne d’une large campagne scandalisée de propagande médiatique en sa faveur; les douzaines d’autres victimes n’ont eu droit qu’à la portion congrue de la part des mass media»_ [^4].

En 1985, de ce côté-ci de l’Atlantique[^5], Jean Salem s’était livré, dans un robuste pamphlet – Rideau de fer sur le Boul’Michque les éditions Delga ont l’heureuse idée de rééditer ces jours-ci, enrichi d’une longue préface, au même type de comptage, observant que le quotidien Libération avait consacré, entre le mois d’août 1980 et le mois d’août 1983, 77 gros titres à la Pologne, contre 7, seulement, à l’Amérique centrale.

«Non pas qu’il ne soit rien advenu en Amérique centrale durant cette période» , précisait, taquin, Jean Salem – puisqu’au Salvador on dénombrait déjà, en 1983, «35.000 morts, depuis 1979, dans un pays de quatre millions d’habitants» – beaucoup moins, il est vrai, qu’au Guatemala…

Mais pour la presse française, tombée aux mains des nouveaux chiens de garde du capitalisme, le danger, alors venait de l’Est – et elle aurait failli à sa mission de défense (et de promotion) du monde libre, si elle avait accordé aux victimes du reaganisme triomphant le dixième de la prévenance qu’elle réservait à celles du soviétisme.

  1. Depuis, comme tu sais: le Mur de Berlin est tombé (et on ne va pas le regretter).

La menace a changé de couleur: nos journaleux, restés couchés aux pieds des mêmes maîtres, sont passés du péril rouge (communiste) au péril vert (musulman) – mais leurs procédés , eux, n’ont guère évolué.

De la même façon qu’hier le Guatémaltèque pesait d’un poids un peu léger dans leur balance idéologique, aujourd’hui le manifestant de Tegucigalpa ne vaut pas, dans la mort, celui de Téhéran: la morale (barbichue) est sauve.

[^2]: Lequel avait, il est vrai, l’ahurissante effronterie d’être « de gauche, allié du président vénézuélien Hugo Chavez» .

[^3]: Le gars est renversé par un coup d’État, et il ose ouvrir sa gueule, et mettre en cause le nouveau gouvernement, qui est certes un ramassis de golpistas , mais qui est aussi (et surtout) un gouvernement de facto ?Mais il se prend pour qui, sans déconner?

[^4]: La Fabrique de l’opinion publique , par Noam Chomsky et Edward S. Herman, Le serpent à plumes, 2003.

[^5]: J’aime les clichés.

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