« Un Garçon fragile » de Kornel Mundruczo ; « L’Exode – Soleil trompeur 2» de Nikita Mikhalkov ; Jafar Panahi ; Pronostics

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2010
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« Un Garçon fragile » de Kornel Mundruczo ; « L’Exode – Soleil trompeur 2» de Nikita Mikhalkov ; Jafar Panahi ; Pronostics

Nous étions avertis : moins de films candidats cette année à la sélection officielle, et quelques grands auteurs qui n’étaient pas prêts : le festival de Cannes est arrivé au mauvais moment, The wrong time at the wrong place , comme le dit un personnage du film de Ken Loach. Le cru 2010 de la compétition officielle aura été l’un des plus médiocres depuis des années. L’impression est d’autant plus forte que, sur le calendrier des projections, les deux films qui fermaient la marche n’ont fait que contribuer à tirer le festival vers le bas.

Illustration - « Un Garçon fragile » de Kornel Mundruczo ; « L'Exode - Soleil trompeur 2» de Nikita Mikhalkov ; Jafar Panahi ; Pronostics

Un Garçon fragile – Le projet Frankenstein , du Hongrois Kornel Mundruczo, est un film à postures : celles de l’infiniment sérieux, du surmoi d’auteur affiché dans chaque plan, du morbide signifiant. Un Garçon fragile – Le projet Frankenstein met en scène le fils d’un cinéaste accomplissant des essais avec des comédiens non professionnels (l’exercice consiste à pleurer devant une caméra, tout un programme), et qui va semer la mort autour de lui, sans grande raison apparente. Le film est une adaptation lointaine du Frankenstein de Mary Shelley. Je crains de comprendre le message : avoir des enfants, c’est enfanter des monstres…

L’Exode – Soleil trompeur 2 , de Nikita Mikhalkov, a accentué encore l’épreuve. La sensation vive d’être devant ce qu’on peut faire de plus grotesque et de plus vulgaire. Le Théâtre Lumière, la plus grande salle du Palais du festival, transformé pendant 2H30 (!) en un immense barnum, avec des effets d’une grossièreté telle qu’en comparaison, la scénographie du groupe de hard rock américain Kiss pourrait passer pour une mise en scène de Claude Régy. Nikita Mikhalkov avait pour ambition de raconter le sacrifice du peuple russe dans la Seconde guerre mondiale. Il a cru devoir le faire en ne lésinant sur rien : des effets spéciaux hideux, des décors pompiers, des corps déchiquetés aux entrailles ouvertes déversant des litres d’hémoglobines, des flash-backs niais, une bande-son tonitruante (mais pourquoi sont-ils si nombreux à en vouloir autant à nos tympans ?…)

Bref, il était urgent que cela s’arrête.

Des 19 films de la compétition officielle, quatre me paraissent sortir du lot, dont deux français : Tournée , de Mathieu Amalric, Copie Conforme d’Abbas Kiarostami, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, et Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures d’Apichatpong Weerhasethakul. Il n’en tiendrait qu’à moi, j’attribuerais la palme à l’un des deux derniers cités. Le Beauvois contient des richesses qu’une seule vision ne me paraît pas avoir toutes explorées. Quant à décerner la palme à Apichatpong Weerhasethakul, le geste serait non seulement juste esthétiquement, audacieux commercialement, mais aussi politiquement opportun, étant donné les graves troubles que connaît la Thaïlande, et dont l’Isan, la région où a grandi le cinéaste, est le foyer.

Les pronostics donnent plutôt gagnants Poetry de Lee Chang-dong, ou Another Year de Mike Leigh, voire Biutiful d’Alejandro Gonzalez Inarritu. Avec le temps qui passe, la place des films se précisent, certains font leur chemin, d’autres s’éteignent. Ainsi, je suis moins séduit aujourd’hui par Poetry que je ne l’ai été en sortant de la projection. Quant à Biutiful , je confirme le malaise qu’il m’inspire, mais je sais maintenant que le film, en permanence dans la surenchère dramatique, y est pour beaucoup.

Illustration - « Un Garçon fragile » de Kornel Mundruczo ; « L'Exode - Soleil trompeur 2» de Nikita Mikhalkov ; Jafar Panahi ; Pronostics

En ce qui concerne les prix d’interprétation, Yun Junghee, dans Poetry , Lesley Manville (photo), dans Another Year , sont données favorites. Pour l’une ou l’autre, ce serait juste. Chez les hommes, Javier Bardem, dans Biutiful , semble intouchable. Si cela pouvait éviter que le film ait la palme… Récompenser Lambert Wilson, présent dans deux films de la compétition, La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, et surtout dans Des hommes et des dieux où il joue avec une subtile sobriété l’incorruptible frère Christian, le chef du couvent de Tibhrine – ne serait pas stupide.

Ce soir a été décerné le Prix de la sélection Un Certain regard à Ha ha ha de Hong Sang-soo. Excellent choix ! J’en faisais (trop rapidement) l’éloge hier soir. La très bonne nouvelle avec ce prix, c’est qu’il devient beaucoup plus probable désormais que le film trouve un distributeur et sorte en salles. On en reparlera alors.
Par ailleurs, c’est à Un certain regard que figuraient deux des plus beaux films du festival, signé par des mastodontes : Film socialisme de Jean-Luc Godard, et l’Étrange affaire Angélica de Manoel de Oliveira.

Jafar Panahi - AFP/BEHROUZ MEHR

Enfin, le palmarès 2010, quel qu’il soit, restera marqué par l’absence d’un des jurés : Jafar Panahi, emprisonné depuis le 1er mars en Iran, et qui tend à devenir un emblème de la résistance aux yeux du pouvoir. Depuis le 16 mai, Jafar Panahi a entamé une grève de la faim. Son compatriote et ami, Abbas Kiarostami, rappelait dans les colonnes de Politis , paru jeudi dernier, que les marques de soutien, qu’elles viennent de l’intérieur du pays comme de l’extérieur, n’avaient eu pour le moment aucun effet. Une grande campagne internationale, de la même ampleur que celle dont est l’objet Roman Polanski, ne serait pourtant pas inopportune. Selon les dernières nouvelles, Jafar Panahi pourrait bénéficier rapidement d’une libération sous caution dans l’attente de son procès, ont indiqué vendredi à l’AFP sa femme et son avocate.

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