«Majorité courte» et grosses arrières-pensées

Michel Soudais  • 22 septembre 2010
Partager :

Illustration - «Majorité courte» et grosses arrières-pensées


Bonne nouvelle! Amis lecteurs qui contestez les politiques de Nicolas Sarkozy et vous apprêtez à manifester jeudi pour le retrait de sa contre-réforme des retraites, sachez que le petit monarque qui prétend nous imposer ses vues n’a été élu en 2007 que par «une courte majorité de Français» . On pensait sa victoire acquise avec 53,06% des suffrages exprimés était écrasante et l’autorisait à dicter la politique de la France. Que nenni!

En ouvrant Le Monde hier après-midi, je lis en Une: «Selon un sondage TNS Sofres, seulement 54% [des Français] sont favorables à la suppression du bouclier fiscal.» Seulement 54%!

L’information est confirmée en page 8, où ce titre barre toute la page:

Illustration - «Majorité courte» et grosses arrières-pensées


Juste en dessous, mon excellente consœur Françoise Fressoz , forcément excellente puisqu’elle dirige le service France du grand quotidien de référence (un must), commente ledit sondage réalisé pour Le Monde , Europe1 et i-Télé, en ces termes: «À la question: « Etes vous favorable à la suppression du bouclier fiscal? » *, une courte majorité de Français (54%) répond oui, tandis que 37% s’y opposent et 9% sont sans opinion.»*
Et là je me dis forcément que les 53% du petit Sarko face aux 47% de Ségolène Royal c’était peanuts. Cela ne lui donnait même pas une once de légitimité puisque 54 % contre 37% ne fait qu’une «courte majorité» nous assure la cheffe du grand service politique du quotidien de référence. Elle s’appuie d’ailleurs sur le jugement qu’on ne saurait contester d’une directrice associée chez TNS Sofres, Carine Marcé: «L’idée selon laquelle pas plus de 50% des revenus doit aller à l’impôt semble admise» , dit cette dame.

La nouvelle est si stupéfiante que tous les sites des grands médias des patrons du CAC-40 entonnent le même refrain: « Seuls 54% des Français veulent la fin du bouclier fiscal.» C’est vrai sur TF1, Le Point, L’Express, La Tribune, Les Echos, Le Figaro, j’en passe et des pires

C’est fou le soulagement que produisent certains sondages sur la profession. Vue la situation de nos finances publiques, vues les critiques de la gauche contre ce foutu bouclier, critiques reprises par certains ténors à droite, vue aussi l’affaire Bettencourt, Mme Fressoz trouve «les résultats du sondage plutôt rassurants pour l’Elysée» . Qui est ainsi encouragé à ne pas toucher au bouclier dressé pour ses chers amis. C’était sans doute le but de ces ratiocinations et l’arrière-pensée de cette enquête d’opinion réalisée au moment malgré tout le plus opportun. Car un petit détail aurait dû chiffonner les commentateurs attentifs des enquêtes d’opinion. Un détail que Le Monde passe sous silence.

Les sondés ne connaissaient pas encore le coût du bouclier fiscal. L’enquête de TNS Sofres a en effet été réalisée les 15 et 16 septembre. Soit juste avant que l’on apprenne que cette disposition fiscale avait coûté en 2009 679 millions d’euros à l’Etat et bénéficié à près de 19.000 contribuables; que ce chiffre était en forte augmentation par rapport à 2008, où il avait déjà coûté 563 millions d’euros; et que les plus fortunés ont empoché des
chèques de plusieurs centaines de milliers d’euros. Soit 24 à 48 heures avant une flopée de réactions politiques et syndicales hostile à cette mesure phare de notre Président pour ses très chers amis. Un détail.

Cela n’invalide pas l’information principale délivrée ce jour par Le Monde et TNS Sofres: 54%, ce n’est pas vraiment une majorité suffisante pour prescrire une politique. La démocratie a changé d’arithmétique. Notez qu’on le savait déjà puisque Nicolas Sarkozy avait commencé son quinquennat en ne tenant aucun compte du vote de 54,67% des Français qui avait voté «non» au traité constitutionnel européen. Ce ne serait donc que justice de lui rappeler qu’avec son petit 53%, il n’a pas de quoi faire le fiérot. Et surtout pas nous imposer ses projets.


PS: Je rappelle au twittonautes qu’il est désormais possible de me suivre sur Twitter, pseudo msoudais.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don