Economie solidaire ou social business ?

L’économie solidaire ne serait-elle qu’un social business ? Une forme de philanthropie, pilier d’un capitalisme fou ? Un appel a été lancé par plusieurs organisations de l’économie sociale et solidaire pour poser les termes d’un débat feutré qui s’est déroulé pendant les états généraux qui se sont tenus du 17 au 19 juin 2011. ****

Thierry Brun  • 27 juin 2011
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Pour ceux qui découvrent que l’économie est plurielle , l’économie sociale et solidaire (ESS) n’est pas un artifice. L’ensemble regroupe des associations, coopératives et mutuelles, soit quelque 2,3 millions de salariés. Et l’on oublie volontiers que des systèmes sociaux et solidaires fonctionnent sur des principes de non lucrativité et d’association qui pourraient se revendiquer dans l’économie sociale et solidaire.

En clair, l’économie sociale et solidaire est un secteur économique d’importance, porteur d’alternatives et de pratiques (un exemple : les amap, association d’aide au maintien d’une agriculture paysanne, se revendique de l’économie solidaire).

Mais ce secteur est très hétérogène. C’est ce qu’on a pu observer lors des états généraux de l’économie sociale et solidaire, qui se sont tenus du 17 au 19 juin2011. Certains s’en revendiquent mais estiment que l’économie sociale et solidaire est un nouveau type de capitalisme prônant une sélection vertueuse par le marché.

Par exemple, la BNP Paribas apparaît dans la finance solidaire notamment parce qu’elle a soutenu la septième édition de la semaine du microcrédit organisée par l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) qui s’est déroulée du 7 au 11 juin 2011.

Le néolibéralisme étant toujours de mise après la crise financière de 2008, le social business, combiné avec la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, plaide pour une nouvelle moralisation du capitalisme et donc sa relégitimation.

Ainsi, « l’économie sociale et solidaire ne serait de plus qu’une nouvelle philanthropie qui, à cause de l’endettement des États, doit se tourner vers le mécénat. Les discours sur les sentiments humanitaires et les devoirs des pauvres supplantent les notions de citoyenneté et de droit, toute analyse des relations de pouvoir et de domination est abandonnée » , relève le sociologue Jean-Louis Laville dans un excellent petit ouvrage ( Agir à gauche, l’économie sociale et solidaire , DDB, 2011). Ce préalable ne rend que plus intéressant l’appel que nous publions ci-dessous.

**Économie Sociale et Solidaire changement d’échelle,

mille fois oui, mais au service de quelle société ?**

Depuis plusieurs décennies, les acteurs de l’économie sociale et solidaire apportent la preuve qu’il est possible de conjuguer économie, solidarités et biens communs. En implantant la démocratie au cœur de l’économie, ils s’opposent à la logique exclusive et excluante de l’optimisation du rendement financier à court terme qui régit l’économie dominante, et ils résistent à l’emprise croissante de l’économie souterraine, criminelle et mafieuse.

Dans une économie de plus en plus financiarisée, malgré le grand coup de semonce de l’éclatement de la bulle spéculative lié à la crise des subprimes en 2008, face au modèle de développement productiviste qui montre tous les jours ses limites et survit grâce à l’endettement des ménages, des États et des PME, face à la gravité de la crise écologique, les valeurs et principes défendus par l’économie sociale et solidaire peuvent rencontrer un large écho dans la société.

  • Auprès de salariés dont la direction exige un niveau de productivité au détriment de leur santé ou qui sont licenciés bien que leurs entreprises dégagent des bénéfices.

  • Auprès de gérants de TPE et PME qui, faute d’accès au capital, n’ont accès qu’à des prêts à court terme pour financer le développement de leurs entreprises et deviennent les esclaves de leur outil de travail.

  • Auprès d’agriculteurs qui ne parviennent plus à vivre décemment de leur travail, peinent à trouver des terres à cultiver, et travaillent leur vie durant au profit des banques et de l’industrie agroalimentaire.

  • Auprès de free lance, d’auto-entrepreneurs et de travailleurs autonomes, qui paient le prix fort de leur indépendance par la précarité de leurs activités, la dilution de leur protection sociale et leur vulnérabilité face aux donneurs d’ordre.

  • Auprès de commerçants dont l’activité sert davantage à financer les propriétaires des locaux et les banques qu’à rétribuer leur travail.

  • Auprès d’artisans qui n’ont plus les moyens de transmettre leur métier.

  • Auprès de jeunes dont l’entrée dans le monde du travail est de plus en plus dure et dont un nombre croissant aspire à s’investir professionnellement dans des activités locales durables.

  • Auprès de fonctionnaires, soumis à la pression du chiffre et à l’estimation uniquement comptable de leur travail, qui ne peuvent plus assurer leurs missions de service public. Ces fonctionnaires vivent mal le désengagement de l’État, notamment par la mise en place de délégations de service public à des prestataires privés qui, pour rentabiliser leurs prestations, précarisent durablement l’emploi.

Il est temps que l’ESS entre en dialogue avec tous ces travailleurs et plus globalement avec l’ensemble de la société qui ne se réduit pas à un marché. On ne peut donc que partager l’appel à changer d’échelle lancé dans le cadre de l’initiative des États Généraux de l’ESS.

Changer d’échelle, oui. Mais comment et pour quelle finalité ?
S’agit-il d’étendre, de renforcer l’ESS par la concentration de l’existant et l’élimination de certains acteurs, ou s’agit-il d’essaimer et de déployer tous les acteurs qui maillent le territoire, afin de mieux répondre à la diversité des attentes sociales ?
Privilégier une option plutôt qu’une autre n’est pas neutre.
Comment changer de taille tout en préservant ses valeurs notamment dans des relations équitables avec l’ensemble des parties prenantes ?
Notre aspiration légitime à vouloir peser sur les débats économiques, sociaux et écologiques de notre pays nous oblige à clarifier la nature du projet de société qui nous rassemble dans la diversité des pratiques et des acteurs se réclamant de l’économie sociale et solidaire.

Le débat sur les voies et les moyens du changement d’échelle est donc crucial. S’y joue pour une large part un ralliement-reniement à l’idéologie du « social business » ou bien l’affirmation renouvelée des valeurs fondatrices de résistance, d’initiatives et d’innovations citoyennes qui sont la marque de fabrique de l’économie sociale et solidaire, et qui lui donnent tout son sens, sa pertinence, son attractivité et son efficacité.

Changer d’échelle pour l’économie sociale et solidaire, c’est d’abord et avant tout par le local et la proximité que ça se joue ; parce que c’est concrètement, pratiquement, au niveau des territoires, de tous les territoires, qu’on peut développer massivement des activités économiques réellement sociales et solidaires. C’est également renforcer les coopérations qu’elles soient territoriales ou à une échelle plus large.
– C’est répondre aux attentes, notamment des jeunes.
– C’est élargir notre base sociale en remettant en cause des dispositifs qui réduisent l’usager à un public cible, qui individualisent les parcours sans les solidariser.
– C’est valoriser toutes les initiatives concrètes qui contribuent à mieux former, mobiliser et émanciper les acteurs individuels et collectifs dans tous les secteurs d’activités.
– C’est ne rien lâcher sur l’organisation plus juste et plus solidaire du travail, du partage de la valeur ajoutée, du sens que l’on donne à l’activité économique.

C’est affirmer avec conviction la force que représente cette économie, créatrice d’activité et d’emploi: 8% de l’activité économique, 9,9% de l’emploi français, 2,3 millions de salariées, plus de 100 000 emplois créés chaque année.
C’est souligner la pertinence des sociétés de personnes et des plus-valus qui s’en dégagent en termes d’efficacité économique, d’utilité sociale, d’organisation collective et démocratique du travail, de développement durable, d’ancrage territorial, d’innovations sociales, au profit des personnes et non des capitaux.
C’est rappeler que ces manières d’entreprendre reposent sur des statuts qui représentent de véritables avancées sociales.

Les États Généraux seront un exercice démocratique fondateur s’ils concourent à lancer le débat en l’ouvrant largement à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ESS avec tous les acteurs et tous les citoyens qui veulent démocratiser l’économie.

On peut lire cet appel sur le site de Minga ou le télécharger :

Temps de lecture : 7 minutes
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