Il Pourrait Nous Dire Où Il Était, Jean-Luc Mélenchon, Pendant Que Beria Purgeait? (Ou S’Il A Zéro Alibi?)

Sébastien Fontenelle  • 18 février 2012
Partager :

Illustration - Il Pourrait Nous Dire Où Il Était, Jean-Luc Mélenchon, Pendant Que Beria Purgeait? (Ou S'Il A Zéro Alibi?)

Tous les samedis: Marianne publie, dans un emplacement de choix, «l’éditorial» de Jacques Julliard (à l’extrême gauche, sur la photo).

C’est, à chaque fois, un feu d’artifice de l’esprit, et ce n’est pas (du tout) étonnant, car ce réputéditocrate est, d’après l’un de ses vieux complices de mer (qui en est un autre), «incroyablement brillant, sous sa divertissante chevelure» .

Dans son éditorial de ce matin, par exemple, Jacques Julliard (se) demande: «À quoi sert Mélenchon?»

(Mâme Dupont?)

Ce n’est pas illégitime: chacun(e) de nous peut très valablement s’interroger sur l’utilité, ici-bas, de ses pair(e)s[^2].

Nous pouvons ainsi nous demander, quant à nous, à quoi sert Jacques Julliard, et la réponse est forcément un peu complexe, car il y a (au moins) deux périodes distinctes, dans la vie du «flamboyant Jacques» , comme l’appelle affectueusement l’un de ses vieux complices de mer (qui précise qu’il «ne parle pas seulement là de ses drôles de cheveux» ).

Dans la première (et la plus longue, puisqu’elle a quand même duré un gros quart de siècle) de ces deux périodes, Jacques Julliard, éditorialiste à Le Nouvel Observateur , a été l’un des plus exaltés thuriféraires d’une «deuxième gauche» totalement soumise au capitalisme, qui était en vérité, comme l’ont tôt démontré Jean-Pierre Garnier et Louis Janover dans un (implacable mais) délicieux bouquin[^3], «une deuxième droite» , affublée «d’un faux nez rose» , qui, «grâce» à ce «déguisement, a pu réussir là où la première avait échoué» .

Dans la seconde de ces deux périodes -l’actuelle-, Jacques Julliard, éditorialiste à Marianne , écrit de longues rédactions, pour narrer que c’est un peu con, mâme Dupont, de totalement se soumettre au capitalisme (fût-il «rhénan» ).

Pour le dire autrement, Jacques Julliard, depuis qu’il émarge chez Marianne , écrit le contraire de ce qu’il écrivait quand il émargeait chez Le Nouvel Observateur – de sorte que nous pouvons d’ores et déjà considérer que Jacques Julliard sert du moins à nous faire marrer: par les temps qui courent, conviens, c’est pas rien.

Mais si tu veux bien: poussons plus avant notre questionnement, et demandons-nous s’il ne sert qu’à cela, ou s’il aurait pas, des fois, d’autre(s) utilité(s).

Pour cela: penchons-nous d’un peu près sur son éditorial de ce matin.

(Celui, donc, où il se demande, pour sa part, à quoi sert Mélenchon: je viens de t’en parler, ça serait bien que tu suives un peu plus attentivement, steuplaît.)

Qu’y trouvons-nous-ce, d’abord?

Nous y trouvons-ce, d’abord, de gros bouts d’un procédé où l’éditocratie excelle: la prétérition.

Car en effet, Jacques Julliard commence par concéder (après l’avoir tout de même posé en héritier de «Jacques Duclos» le «stalinien» et de «Georges Marchais» le «clown blanc du prolétariat» ) que le candidat du Front de Gauche[^4] ne dit pas que des sottises, et qu’il y a même «quelque chose de salutaire dans le discours de Mélenchon: c’est sa façon de déchirer le voile des fausses évidences que la propagande capitaliste a réussi à installer dans les esprits» (sans trop de difficulté, puisqu’il s’est toujours trouvé dans la médiaterie dominante de fidèles bigots pour les psalmodier devant l’autel de la «deuxième gauche» en se lissant les peignures[^5]).

Itou: Jacques Julliard trouve que Jean-Luc Mélenchon a quand même un peu raison de considérer qu’ «il y a incompatibilité manifeste entre la logique du néocapitalisme[^6] et les valeurs de la démocratie» .

Est-ce à dire que Jacques Julliard va finalement voter pour Jean-Luc Mélenchon, plutôt que pour François Hollande, qui n’a de son côté aucune intention (il l’a redit récemment avec beaucoup de netteté, pour qui en aurait (naïvement) douté) de rompre d’avec la logique capitaliste, et qui n’aurait par conséquent que foutre, à suivre Jacques Julliard, des valeurs de la démocratie?

Point.

Car en effet: «S’il y a une crédibilité de Jean-Luc Mélenchon en termes de valeurs, il n’y en a aucune en termes de gouvernement» , assène ensuite Jacques Julliard.

Car en effet: Jean-Luc Mélenchon veut la retraite à 60 ans pour tout le monde – et ça, vu depuis l’éminence d’où Jacques Julliard dispense ses pointus commentaires, ce n’est pas (du tout) réaliste.

Car en effet: Jacques Julliard «doute que dans une société plus juste on puisse soutenir indéfiniment l’idée d’une retraite pour tous à 60 ans» .

Et?

Et c’est tout: la démonstration de Jacques Julliard s’arrête là.

Il pense que la retraite à 60 ans est une mauvaise idée parce qu’il pense que la retraite à 60 ans est une mauvaise idée[^7] – et donne assez fort l’impression d’être convaincu que ce puissantissime raisonnement va emporter l’adhésion de son lectorat.

Mais tout de même?

Et pour le cas où cette phénoménale analyse ne suffirait pas à établir que Jean-Luc Mélenchon n’a au fond aucune «crédibilité» ?

Jacques Julliard produit, pour parachever son éditorial, ce qu’il appelle: «La raison principale des limites du social-mélenchonisme» .

Cette (déterminante) raison, la voici – et je préfère te prévenir que tu vas en être scié(e): c’est que la gauche de gauche est infoutue, la pauvre conne, «de concevoir la révolution et, à plus forte raison, une société postrévolutionnaire» .

Pourquoi?

Parce que cette «extrême gauche» (maudite soit-elle) n’a toujours «pas eu le courage élémentaire de regarder en face la plus grande tragédie du XXᵉ siècle» , qui n’a pas été le nazisme, mais «la catastrophe économique et humanitaire que l’on appelle le communisme» .

Explique sans (du tout) rire Jacques Julliard – comme s’il n’avait pas eu le temps d’écouter, dans les années 1990 (sans doute était-il trop occupé à rédiger des éditoriaux plébiscitant la logique capitaliste), le permanent mea culpa de Bob Hue, qui s’interdisait (formellement) de rester plus de quelques jours sans présenter au monde ses plus plates excuses pour les crimes du stalinisme.

Dans la vraie vie, bien sûr: de larges pans de la gauche de gauche ont très tôt dénoncé le totalitarisme soviétique.

Mais Jacques Julliard préfère occulter ce minuscule détail, dont la prise en compte l’empêcherait il est vrai d’attribuer à «l’extrême gauche» , pour finir son éditorial, une «défaite de la pensée» – et de suggérer un peu nettement[^8] que Jean-Luc Mélenchon tarde à se désolidariser des vilenies du NKVD.

Tu sais maintenant à quoi sert aussi Jacques Julliard – quelle que soit sa période: à disqualifier par sa propagande celles et ceux pour qui la gauche n’est pas deuxième.

[^2]: Et sur la sienne propre, bien sûr, mais tel ne semble pas être le souci prioritaire de l’éditocratie.

[^3]: Dont je n’ai toujours pas compris pourquoi personne ne se décide à le rééditer.

[^4]: Moi, non, je ne vais pas voter pour lui – mais l’odeur des lourds paquets de merde que d’aucun(e)s lui lâchent quotidiennement sur le sommet du crâne commence à m’incommoder.

[^5]: Ou la barbiche.

[^6]: Jacques Julliard et ses cothurnes de l’éditocratie s’appliquent, ces temps-ci, à lester le capitalisme d’une nouveauté imaginaire, qui a ceci de commode, qu’elle leur permet de faire comme si ce système dont ils découvrent tardivement les menues imperfections n’était pas exactement le même, dont ils ont d’abord chanté pendant plus de vingt-cinq années les suavités.

[^7]: Tu peux essayer avec la réforme de la tarte au citron: ça marche aussi.

[^8]: Mais cela ne fait bien sûr pas de lui un «stalinien» ou un « clown blanc»

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 7 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don