Panne Orange ou feu rouge pour une société esclave de ses gadgets ?

Claude-Marie Vadrot  • 8 juillet 2012
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La seule chose qui semble intéresser France Télécom, une grande partie des usagers et les associations de consommateurs, c’est une discussion épique autour du montant de l’indemnisation à laquelle aurait droit les abonnés. Combien d’heures ou combien de minutes, avec en prime, cela ne s’invente pas, une place de cinéma. Passionnant pour ceux qui doivent faire 30 kilomètres pour trouver un cinoche. Pourquoi pas une sucette, parfum au choix ? Un rideau de fumée habile puisque gratter trois sous semble être désormais la seule revendication des consommateurs…

26 millions de personnes se retrouvent sans téléphone, qu’ils soient « intelligents » ou non, et la seule question qui vaille serait celle de l’indemnisation ? De quoi gâcher les premiers jours de plage ! Quelques autres millions, souvent les mêmes, se retrouvent sans téléphone fixe et sans télévision parce que ces engins sont branchés sur un boite magique et le seul souci serait financier et relevant de l’aumône collective ?

On croit rêver et on mesure surtout le degré d’addiction d’une partie des Français : ils sont en passe d’oublier que le téléphone fixe existe et que les programmes télévisés passent encore par des antennes, voire des paraboles. Pendant ce trou noir de la modernité transformé en catastrophe sociétale par beaucoup de mes chers confrères, conservant à desseins une alternative à mon (stupide) portable, j’ai donc continué à téléphoner, à consulter mes courriels et (si cela est vraiment nécessaire) à jeter un oeil sur les inepties estivales de la boite à images.

Donc, au delà des exigences consuméristes des abonnés qui vont réclamer quelques sous que France Télécom prendra tout simplement dans la poche de ses salariés car il y a toujours quelqu’un qui paye le coût de la « gratuité » ou des « cadeaux » d’une entreprise, se profile la fragilité des systèmes centralisés construit par notre société. Ou plus exactement par les multinationales (Orange en est une) qui en tirent profit sans se soucier de leur vulnérabilité. Elle est simplement assumée comme un risque qui vaut le coup d’être courus vus les profits engrangés.

Risque d’étouffer sous une complexité inextricable ou d’être pris en otage ; soit par des maîtres chanteurs soit par des multinationales ou des Etats hostiles. Les explications pour l’instant très vaseuses de France Télécom ne permettent pas d’écarter une probable attaque informatique, mais il n’est pas question d’avouer qu’il s’agissait peut-être d’un « attentat » et le public ne le saura jamais, de peur qu’il perde confiance en son appendice magique qui lui sert de doudou.

Le réseau du mobile comme la Toile se révèlent donc de plus en plus fragiles, que cela soit inhérent à sa complexité ou à la merci d’une action hostile. Ce que nous rappelle que les conséquences de cette « panne » n’ont rien de tragique pour ceux qui ne mettent pas leurs appels dans le même écouteur. Les dangers sont dans le château de cartes qui peut, partout, s’effondrer en quelques instants. C’est peut-être ce qui explique qu’une ministre, Flore Pellerin, se soit précipitée au chevet d’Orange. On avait déjà la visite des ministres de l’Intérieur aux victimes, aux entreprises en rade et aux zones inondées…voici venu le temps de la sollicitude informatique. Jeudi dernier, il n’y avait aucun journal national dans les kioskes, je n’ai pas vu un ministre se précipiter…

Pour comprendre l’étendue du risque il suffit de songer, par exemple, à la panique des automobilistes (sans oublier les avions et les navires) en imaginant une grande panne, tout à fait possible (provoquée ou non), des applications GPS, qu’elles soient couplées aux téléphones ou reliés à des boites magiques dont la voix et les dessins indiquent ou tourner. En laissant leurs utilisateurs perdus en ville ou en rase campagne face à des cartes routières sur lesquelles ils ne sont plus capables de distinguer (expérience vécue dans la bagnole d’un ami) le Nord du Sud.

La panique collective devient dérisoire quand les lamentations déplorent l’impossibilité soudaine de repérer (grâce à une application commercialement orientée) un (bon) restaurant, une pharmacie, un horaire de train, une grande surface, une pompe à essence soit disant moins chère, l’étendue d’un embouteillage, la fermeture d’une autoroute, la mise en place d’un nouveau sens interdit ou le cinéma le plus proche projetant la énième version de Camping. Et mille autres informations que la lecture attentive d’un journal (mais quel effort !) permet de trouver en réduisant le charme de l’aléa.

Qu’il s’agisse de notre panique de ne plus être tenue par la main dans notre vie quotidienne ou de la crainte justifiée de subir les conséquences d’un effondrement des nouvelles toiles mondialement tissées, il ne s’agit bien sur pour les amoureux des nouvelles technologies mondialisés qui les exploitent et exploitent les salariés, que propos de « vieux con » imperméable aux progrès. J’assume. Mais il en faut sans doute quelques uns pour rappeler la fragilité du système qui nous infantilise et dont il faut se méfier…

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