Les camarades de Chokri Belaïd exigent la vérité

Patrick Piro  • 22 mars 2013
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Les camarades de Chokri Belaïd exigent la vérité

Depuis le 6 février, ils se donnent rendez-vous tous les mercredis sur l’avenue Bourguiba, fameuse artère de Tunis où se doit de défiler toute manifestation qui compte dans le pays. Et ce 20 mars, jour de l’indépendance tunisienne, ils sont venus commémorer à leur manière « la mémoire des martyres ». « Nous voulons que la police arrête les meurtriers de notre camarade Chokri Belaïd ! », scandent les manifestants, jeunes pour la plupart.

Ils sont membres du Front populaire, une coalition de mouvements de gauche opposants au gouvernement tenu par le parti islamiste Ennahda, qui se revendique « modéré ». Le 6 février 2013, Chokri Belaïd était assassiné en pleine rue. Fort de son brio oratoire, l’avocat, qui dirigeait le petit Mouvement des patriotes démocrates (l’un des partis fondateurs du Front de gauche) était devenu la bête noire des islamistes. À la stupeur a succédé un sursaut. « La violence politique n’est pas dans la tradition tunisienne , affirme Abderrahman Hedhili, président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Ce meurtre est un événement très grave, mais nous ne croyons pas le pays menacé par le chaos. »

Sur l’avenue Bourguiba, les groupes du Front populaire et d’Ennahda s’invectivent. Les premiers se disent persuadés que le parti au pouvoir est derrière l’élimination de Belaïd, attribuée à des groupuscules islamistes radicaux et dont auteurs et commanditaires sont toujours recherchés. « Ghannouchi est un assassin, nous voulons son arrestation ! », exigent les militants, qui désignent leur coupable, le président de Ennahda.

La police veille. Le ministère de l’Intérieur, à deux pas, est en permanence cerné de rouleaux de fils de fer barbelé. L’ambiance est loin d’être à la liesse pour une Fête de l’indépendance, dont plusieurs ténors politiques déploreront qu’elle ait été négligée par les autorités. Un groupe de jeunes excités met le feu à un drapeau français. « Vous êtes de France 24 ? » , interroge soupçonneux l’un d’eux, qui explique que s’il y a des islamistes parmi eux, d’autres, comme lui, expriment une rancœur persistante envers l’ancienne puissance coloniale, qui conserverait une influence persistante dans les affaires tunisiennes.

Une militante du Front populaire parvient à interrompre le début d’incendie du drapeau, qui finira en lambeaux aux cris de « Dégage, la France ! ». Attroupements latéraux. Deux femmes s’offusquent d’une telle confusion émotionnelle. Un psychologue, qui travaille depuis trente ans à Bordeaux, intervient. « Vous allez encore faire croire, comme on le voit sur les chaînes de télévision françaises, que la Tunisie est à feu et à sang ! Mais après plus de 50 ans de dictature, il est normal que les gens s’expriment. Après trois mois de séjour dans mon pays, je n’ai pas encore vu deux personnes se taper dessus… »

Le Forum social mondial se tiendra du 26 au 30 mars à Tunis.

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