« Islam démocratique » contre « fascisme islamique » : Canfin répond à Valls

Le ministre français du développement, présent au forum social de Tunis, a apporté son soutien à l’évolution démocratique de la Tunisie, et a défendu sa réforme de la politique de développement de la France, qui n’a cependant pas convaincu les associations.

Patrick Piro  • 5 avril 2013
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« Islam démocratique »  contre « fascisme islamique » : Canfin répond à Valls

Manuel Valls, l’ineffable « Sarkozy de gauche » comme il est dépeint, avait tapé lourd le 7 février, au lendemain de l’assassinat de Chokri Belaïd, militant de gauche tunisien. Le ministre de l’intérieur avait chargé sur l’obscurantisme d’un « fascisme islamique », jetant pêle-mêle dans le même panier le salafisme (accusé du meurtre) et les modérés d’Ennahda et autres Frères musulmans. En bon représentant d’un néo-colonialisme franchouillard qui piaffe de refaire des rois là où il les fit, il ajoutait même « garder espoir dans le rendez-vous électoral pour que les forces démocratiques et laïques, celles qui portent les valeurs de cette révolution du jasmin, demain l’emportent. »

Cette opinion n’est a priori pas celle de « la France », que l’on a cru entendre mieux portée par la voix de Pascal Canfin, quoi que bien moins répercutée que celle de Valls. Le ministre français du développement a fait un saut à Tunis pour passer quelques heures au forum social mondial jeudi 28 mars.

Interview Politis.fr :

« Nous n’avons aucune leçon à donner à la Tunisie. Notre propre révolution a suivi un chemin chaotique (…) Nous soutenons le processus démocratique », tout en étant « extrêmement attentifs à ce que les valeurs universelles (…) et les promesses du printemps arabe soit bien préservées (…) » Le ministre juge le processus en cours en Tunisie comme une « évolution positive » de l’islam politique, soulignant que le parti Ennahda au pouvoir a accepté l’élaboration démocratique d’une nouvelle constitution, le partage du pouvoir et les compromis politiques, et qu’il ne s’agit pas de le confondre avec les salafistes, qui refusent ce processus. **** « La stabilité des pays arabes passe par l’insertion de partis islamistes dans le jeu démocratique. »

Pascal Canfin n’est cependant pas venu à Tunis en supplétif de son ministre de tutelle Laurent Fabius. « Je suis là pour écouter et m’alimenter de propositions », prévient-il, histoire de parer aux soupçons de récupération. Il faudra cependant le décourager de tenir une conférence de presse sur les lieux du forum. « Non approprié », lui a-t-il été signifié : le FSM n’est pas une tribune pour politiques.

Même si le gouvernement Ayrault, contrairement à son prédécesseur, a joué le jeu du soutien au FSM. Les réseaux français ont en effet reçu des financements qui leur ont permis d’inviter des dizaines de partenaires étrangers à Tunis, ainsi qu’un appui politique : « Vous pouvez faire savoir que la France soutient officiellement le forum social mondial de Tunis », avaient communiqué les cabinets de Hollande et de Canfin lors de réunions préparatoires.

Des propositions, le ministre en a entendu un paquet à Tunis, lors d’une rencontre organisée ce jour-là avec les associations membres du collectif Crid, qui regroupe les principales organisations de solidarité internationale françaises : une litanie de quinze interventions qui avaient pour but d’exposer au ministre un certain nombre de positions et de réflexions.

Manque d’idées, manque de communication ? Pascal Canfin est pourtant assez fier de ses Assises de la solidarité internationale récemment bouclées, quatre mois d’échanges sur un terrain abandonné depuis quinze ans de droite au pouvoir, auxquels ces mêmes associations ont été invitées. Mais la philosophie et la hiérarchie des priorités qui en sont ressorties ont chiffonné, au Crid, qui ne croit pas pinailler quand il perçoit « de nouveaux marchés, de nouveaux consommateurs pour les entreprises françaises » derrière « le soutien au développement économique » ; ou bien le souci des intérêts nationaux derrière une opération militaire comme celle qui est toujours en cours au Mali quand on parle de « sécurisation du développement » ; ou bien, encore et toujours, la recherche de débouchés pour l’industrie hexagonale quand l’accent est mis sur un « développement propre » basé sur l’adoption des énergies renouvelables.

Car pour les associations, il manque un gros préambule dans cette remise à plat de la politique nationale de développement (anciennement « coopération ») : où est passé la bataille pour l’accès aux droits fondamentaux dans les pays du Sud ? Le soutien à la démocratisation n’est-il pas une condition sine qua non du « développement » ? Rien sur le renforcement de la société civile, notamment les jeunes, les femmes, les défavorisés ? Les militants voient poindre la promotion d’un nouveau mode de partenariat « public-privé » à la mode, le « business social » : donner du pouvoir d’achat aux pauvres pour en faire des consommateurs, et de « bons » produits de préférence — des yaourts de marque française pour les Bengladeshis, par exemple…

Il paraît que le ministre a eu l’air un peu surpris du décalage. Le Crid a de son côté un peu regretté que l’assaut de ses interpellations n’ait pas laissé au ministre le loisir d’y répondre à Tunis. Mais promis, « on se reverra à Paris ».

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