La Via Campesina veut sortir du bois

Vingt ans après sa naissance, le réseau de la Via Campesina rassemble 250 millions de paysans partout dans le monde. En dépit d’un manque de notoriété, il s’est imposé comme un acteur international de poids sur les questions agricoles. Le mouvement s’est réuni à Jakarta du 9 au 13 juin 2013.

Patrick Piro  • 13 juin 2013
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La Via Campesina veut sortir du bois

Vingt ans, le moment d’assumer l’âge adulte. C’est à peu près ce qui a traversé la tête de quelques délégués de la Via Campesina, au beau milieu de l’exercice ardu mais convenu de l’élaboration d’une déclaration politique. « Souveraineté alimentaire, ça fait des années qu’on le martèle ! On n’a rien de plus à dire, aujourd’hui ? » Alors on s’est regardé. Et on a tout remis à plat.

Le réseau est né en 1993 : en pleine décennie de la mondialisation, chez les paysans poussait la nécessité de porter leurs batailles locales à l’échelon international. L’appel fondateur vient trois ans plus tard. Henry Saragih, actuel coordinateur général de la Via Campesina et dirigeant de Serikat Petani Indonesia (SPI, syndicat des paysans d’Indonésie), se plaît à rappeler combien il détonnait alors avec le pari des Nations unies : diviser par deux la faim dans le monde grâce à l’agro-industrie, les importations à bas coût. « Résultat, la faim s’est accrue dans le monde… »

Une « référence », jusqu’aux Nations Unies

La Via Campesina ne cesse de répéter qu’il faut d’abord protéger la petite agriculture familiale et que c’est elle qui nourrit une grande partie des populations. Souveraineté alimentaire : il est un droit, pour chaque pays, pour chaque population, de contrôler son approvisionnement alimentaire. La Via Campesina compte une cinquantaine de centres de formation à l’agroécologie, dans le monde, tous éclos depuis cinq ans.

Revirement. Dans un message vidéo envoyé à Jakarta, Olivier de Schutter ne tarit pas d’éloge sur le réseau paysan. « Il s’est imposé comme une référence sur les questions de souveraineté alimentaire. » Le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations unies n’est pas spécialement un haut fonctionnaire peureux. Mais l’hommage fait plaisir, sous les plafonds du grand centre sportif qui accueille la rencontre, satellisée au Sud de la monstrueuse conurbation de la capitale indonésienne.

La bataille culturelle est gagnée

Quelque 550 délégués, venus de près de 80 pays, et représentant environ 250 millions de paysans dans le monde : une méga-logistique, on ne se réunit que tous les quatre ans dans la famille. Depuis la dernière fois, en 2008 à Maputo (Mozambique), bien des orages ont balayé les champs de la planète : la montée en puissance des questions climatiques, la crise des prix alimentaires, l’explosion du mouvement d’accaparement des terres, l’émergence de l’épouvantail « économie verte », la prédation de grandes firmes sur les semences paysannes…

Alors, en 2013, rappeler la prééminence de la souveraineté alimentaire ? Toutes les têtes pensantes du réseau en conviennent : cette bataille culturelle est gagnée, « la plupart acteurs ruraux — et urbains, c’est encore plus important —, adhèrent à notre position » , convient Paul Nicholson, paysan espagnol et l’un des co-fondateurs de la « Via ».

À Jakarta, la Via Campesina est peut-être en train de prendre conscience de son statut, et de l’attente diffuse, de la part des autres mouvements sociaux qu’elle prennent ses responsabilités. « Nous sommes le plus important mouvement social international » , se permet de rappeler Rafael Alegría.

À l’ordre du jour : renforcer les liens avec ses alliés pour se lancer ensemble dans la bataille fondamentale de la sauvegarde de la planète. La terre, l’eau, les semences : la vie, les paysans en connaissent un rayon.

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