Via Campesina : « Nous représentons plus de 200 millions de personnes »

Patrick Piro  • 17 juin 2013
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Via Campesina : « Nous représentons plus de 200 millions de personnes »
Photo : Patrick Piro

Illustration - Via Campesina : « Nous représentons plus de 200 millions de personnes »

Paul Nicholson, dirigeant du syndicat paysan basque Ehne (Espagne), est l’un des cofondateurs de la Via Campesina. L’un des plus importants résultats obtenus par le réseau, estime-t-il, est d’avoir produit une solide vision paysanne internationale.

Vingt ans après sa naissance, quelle importance a pris la Via Campesina ?

Paul Nicholson : Nous avons lancé le mouvement sur une intuition : le besoin de porter une voix paysanne sur la scène internationale. Aujourd’hui, nous représentons plus de 200 millions de personnes de tous les continents. Et il s’agit d’un véritable mouvement, qui peut se prévaloir d’une cohésion sociale et idéologique. Ce qui lui donne une puissance de mobilisation et d’action, mais aussi la capacité de mettre en branle les autres mouvements sociaux, ruraux et urbains, car il est décentralisé et très localisé.

La Via Campesina est devenue une voix collective qui pèse, et les institutions internationales le reconnaissent.

Quels résultats le mouvement peut-il revendiquer ?

La plus évidente de nos avancées : être parvenus à imposer que la souveraineté alimentaire doit être le principe de base des politiques agricoles dans le monde. Et l’idée est acceptée aussi bien dans les campagnes que dans les villes, c’est très important. C’est devenue une demande collective, au Sud comme au Nord, un principe mobilisateur accepté par la majorité des mouvements sociaux dans le monde. Autre avancée fondamentale : nous sommes parvenus à mettre la question de l’agriculture et de l’alimentation, ainsi que leur lien avec le dérèglement climatique, sur la table des négociations.

Depuis 2008, date du dernier rassemblement international de la Via Campesina, de nombreux bouleversements ont touché les paysans. Comment les analysez-vous ?

En 2008, nous disions que le monde était entré dans une crise systémique – et pas seulement climatique ou financière – du modèle capitaliste. Une idée communément acceptée désormais. Aujourd’hui, la lutte s’organise autour de la défense des biens publics et communs face à la privatisation de la nature. L’accaparement des terres représente des millions d’hectares dans les pays du Sud mais aussi en Europe, achetés au profit d’intérêts financiers connus ou non, à rebours des usages sociaux et durables. Conjointement, l’eau et les semences sont menacées par la marchandisation. C’est pourquoi nous luttons également contre la progression du libre-échange, et pour un commerce non globalisé, plus équitable.

Quelle stratégie pour la Via Campesina, dans les années à venir ?

Notre mouvement a besoin d’un renforcement du mouvement mondial pour une autre société. Il lui faut aussi mettre en avant la défense de la nature. L’agriculture est témoin que les impacts du dérèglement climatique sont réels ; ceux-ci peuvent être dramatiques et ils accroissent la nécessité d’un changement réel de modèle de développement. À l’inverse, la lutte contre le dérèglement climatique implique de démanteler l’agriculture industrielle, l’une des principales causes du réchauffement planétaire.

Comment comptez-vous évoluer ?

La Via Campesina soutient un modèle agroécologique, qui ne se contente pas de nourrir la planète, mais aussi de préserver les ressources naturelles. Aujourd’hui, nous constatons un engouement fantastique des paysans pour ce type de choix. La Via Campesina compte plus de cinquante écoles de formation en agroécologie, toutes apparues au cours des cinq dernières années. Elles répondent à une demande des petits paysans, qui veulent un modèle économe, dans le sens d’une plus grande durabilité. Ce qui n’est pas le cas d’une agriculture fondée sur les énergies fossiles, que consomment la fabrication d’engrais, de pesticides, les importations, etc.

Les paysans veulent conquérir l’autonomie dans la fabrication des aliments de leurs familles et des sociétés locales. Je veux également souligner combien notre campagne contre les violences faites aux femmes est cohérente avec le développement de l’agroécologie. Le modèle que nous défendons est né d’une volonté de protéger nos semences autochtones, de gagner l’autonomie et le contrôle de nos moyens de production, mais aussi de donner toute sa place à la femme. Son intégration donne une portée très différente de l’apport de l’agriculture aux société humaines.

Temps de lecture : 4 minutes
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