Big Brother Awards, le retour

Christine Tréguier  • 3 juillet 2013
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Big Brother Awards, le retour

Avec les affaires Prism, Google, et la tendance générale à l’exposition et à l’exploitation des données personnelles, la question est plus d’actualité que jamais : qui surveille les surveillants ? C’est celle que posent régulièrement les Big Brother Awards, cérémonie parodique de remise de prix qui récompense tous les partisans et artisans de la société de contrôle. Ces César du monde sécuritaire, inspirés par l’univers planté par George Orwell dans son roman 1984 , ont été initiés en 1998 par Simon Davies, fondateur de Privacy International. Ils ont été repris dans une quinzaine de pays, y compris en Europe.

En France, les récompenses ont été remises pendant dix ans et, après trois années d’interruption, une nouvelle équipe a pris la relève.

Quarante-cinq dossiers ont été soumis à la sagacité d’un jury de professionnels, dont je faisais partie, qui avait à charge de désigner le plus méritant dans chaque catégorie. Et, le 26 juin, à un jour près la date anniversaire de la naissance d’Eric Arthur Blair, alias George Orwell, le public était convié à La Parole errante, à Montreuil-sous-Bois (93), pour acclamer ou plutôt huer les gagnants.

Dans la catégorie « entreprises », le prix Orwell a été attribué au GIE carte bancaire pour « sciemment laisser un système non sécurisé, les puces NFC, sur nos cartes bancaires » . Renaud Lifchitz, un informaticien, a en effet démontré que cette nouvelle génération de puces sans contact, censées faciliter la vie des usagers pour effectuer de petits paiements, délivrait à quiconque se place à proximité (de 1 à 15 mètres), avec un lecteur ad hoc , des informations permettant de la pirater ainsi que l’historique des dix derniers paiements.

Mention spéciale du jury à Conforama, Ikea, Castorama et Elior pour « le flicage, plus ou moins inventif, de leurs salariés et clients » . Fichage des bons et mauvais employés, consultations illégales du fichier de police Stic, surveillance par GPS interposé, voire incitation au vol pour piéger les clients malhonnêtes, les géants de la distribution piétinent allègrement les droits des salariés, et les réprimandes de la Cnil semblent rester sans effet.

Au rayon « État élus », les ministères fréquemment primés de l’Intérieur ou de la Justice ont dû céder la première place à Marielle Gallo. Lors des débats sur l’accord Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), destiné à protéger la propriété intellectuelle et finalement rejeté par le Parlement, cette eurodéputée, membre de la commission juridique, a plaidé en faveur des mesures répressives demandées par les industries culturelles pour lutter contre le piratage. Notamment à travers le fameux « rapport Gallo », préconisant surveillance et sanctions automatiques des internautes ou obligation de filtrage sans passer par un juge. Le porte-parole de la Quadrature du Net, Jérémie Zimmermann, l’a gratifiée, en lui décernant son prix, d’une parodie de la chanson des Beatles «   Michèle, lobby, sont des mots qui vont très bien ensemble…   »

Illustration - Big Brother Awards, le retour

Chez les « exécuteurs des basses œuvres », chevilles ouvrières de la société de contrôle, de nombreux candidats et un tandem gagnant : d’abord la Direction centrale de la police aux frontières, qui use de tests osseux peu fiables pour déterminer l’âge des jeunes réfugiés, envoyant ainsi de nombreux mineurs en camp de rétention. Ensuite le très zélé Jean-François Cordet, ancien directeur de l’Ofpra (Office français des réfugiés et apatrides) et aujourd’hui préfet de Picardie. Il est à l’initiative, en 2011, d’une note interne invitant à rejeter systématiquement les demandes d’asile émanant d’un réfugié ayant effacé ses empreintes digitales. En effet, pour éviter d’être renvoyés dans le pays par lequel ils sont entrés en Europe, certains demandeurs d’asile en sont réduits à se brûler ou à se taillader les doigts pour ne plus être identifiables.

Dans la catégorie « novlangue », c’est Orange Préférences qui a reçu les honneurs. L’expérimentation, consistant à faire accepter aux abonnés à l’ADSL d’Orange une « analyse » – en réalité un profilage fin basé sur la collecte et le traitement – de leurs communications sur Internet en échange de publicités mieux ciblées, a eu fort mauvaise presse et demeure pour le moment sans suite.

Enfin, côté « localité », c’est le conseil général de la Seine-Saint-Denis qui a été distingué pour la mise en place de Cosmos, une application qui, sous couvert d’améliorer la gestion et le service aux usagers du service social, oblige les travailleurs sociaux à ficher ces derniers. C’est le cas dans presque tous les conseils généraux, mais dans le 93 (comme en Essonne ou à Paris), syndicats et collectifs d’assistantes sociales sont montés au créneau pour alerter et défendre leur conception du métier. Ces fichiers visent des personnes en difficulté et des données sensibles, totalement inutiles à la gestion, ils sont conservés et partagés sans grand contrôle. La Cnil est saisie du dossier, mais tarde à réagir.

Ce dossier est emblématique d’une tendance générale à la constitution de fichiers administratifs de plus en plus indiscrets. Et à une mise en grille numérique des services publics qui n’est pas destinée à améliorer le service aux usagers, mais à leur imposer un management d’entreprise et à réduire les coûts. Le prix Voltaire relève de cette même tendance. Il a récompensé Isabelle de Leon, fonctionnaire de Pôle emploi qui a été jusqu’à faire une grève de la faim pour mettre en cause certaines pratiques de l’agence. Vérifier les papiers d’identité, réaliser des EID – entretien individuel diagnostic où on bâcle en 50 minutes le calcul des droits et la mise en route d’un projet professionnel – ou renseigner les formulaires de collecte d’éléments personnels, ne sont pas, dit-elle, des missions de service public. « Il ne peut s’agir d’appliquer au minimum des procédures prépensées et préétablies qui ne s’adaptent pas à la situation individuelle de chaque demandeur d’emploi. »

Après moult discussions, le programme Prism a été finalement été « exclu pour dopage » , les responsables – NSA, parlementaires et entreprises consentantes – étant trop nombreux. Le PDG d’Amesys, Philippe Vannier, marchand sans conscience d’outils d’espionnage au service des régimes totalitaires, a, lui, eu droit à un prix bien mérité pour « l’ensemble de son œuvre ».

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