Photographie : la Syrie, outre-tombe
Parmi la vingtaine d’expositions présentées à Visa pour l’image, le festival propose trois reportages consacrés à la Syrie. Brut et sans concession.
Bustan al-Bacha, Bustan al-Qasr, Salah al-Din, Al-Amria, Cheikh Saïd, et le quartier de la vieille ville. Ce sont les six fronts d’Alep, ou ce qu’il en reste, là où les destructions se sont additionnées, des fronts parcourus, arpentés par Jérôme Sessini (en 2012), où rebelles et soldats syriens se jaugent, s’observent, parfois s’insultent, à travers les ruines, et se tirent dessus. Sessini cadre d’abord un paysage urbain fait de gravas et d’éboulis.
Des rues désertes, abandonnées, des barricades, quelques silhouettes, quelques ombres furtives, un combattant évacuant un frère d’armes. Et toujours, dans cette guerre d’usure et de position, des immeubles, des bâtiments qui pourrissent sur place. Au diapason d’un pourrissement de la situation, visé par le régime. Quand le photographe se rapproche, il fixe les blessures d’un combattant touché par un sniper à la botte du régime, les intérieurs éventrés par les obus, tapissés de trous, telle une meurtrière, servant de nouveau point d’observation. Si la ville assiégée s’est vidée de ses habitants, on perçoit l’urgence dans les intérieurs de ces appartements habillés de mobiliers, ornés de tableaux, où pendent encore les rideaux. Que sont devenus tous ces locataires ?, semble s’interroger le photographe…
Circulant entre Damas et Alep, de l’été 2012 à janvier 2013, dans le camps des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), Goran Tomasevic a été le témoin de l’escalade de la violence, chassant des millions de personnes, en tuant plusieurs milliers. Dans la proximité des petites et grandes batailles, se succèdent des combattants priant devant la tombe endommagée par un mortier tiré par les forces gouvernementales, dans un faubourg de Damas ; un soldat de l’ASL dans sa pause thé ; un autre touché à l’épaule, hurlant sa douleur ; les restes d’un char ; la traque des snipers ; d’autres soldats encore charriant des corps anonymes sur leur dos…
S’il a commencé par couvrir la révolution syrienne à Idleb, puis tout du long de la frontière avec le Liban, Sebastiano Tomada propose un autre regard sur Alep : dans un centre de soins éphémère, une toile de tente dressée rapidement, dans les murs d’une clinique privée, naguère propriété d’un homme d’affaires lié à Bachar al-Assad, transformée en hôpital de campagne. De septembre 2012 à mars 2013, une position qui permet de rendre compte de l’état des corps, d’illustrer les difficultés d’accès aux soins, la situation précaire des structures d’aide. D’autant que les centres médicaux sont la cible privilégiée des forces du régime.
Au milieu des médecins et des infirmières, tous bénévoles, unis par leur opposition au pouvoir en place, déboule le tout-venant de la guerre. Des mômes, des familles, des membres de l’ASL, soignés au débotté, dans le sauve-qui-peut, faute de bras et de matériels. Certains d’entre eux seront transférés en Turquie, pour des soins médicaux vitaux. Le reportage de Tomada est dedans. À l’intérieur du conflit, à l’intérieur des déflagrations, au plus près des éclats d’obus, des chairs éclatées. Et depuis, le conflit n’a cessé d’empirer.
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