Fiscalité : l’autre budget qui divise la gauche et le gouvernement

Jean-Marc Ayrault plaide pour une remise à plat de la fiscalité sans pour autant mettre en cause l’austérité budgétaire et des mesures budgétaires socialement injustes. De son côté, le Parti de gauche a débuté sa campagne pour une révolution fiscale en présentant son contre-budget pour 2014.

Thierry Brun  • 19 novembre 2013
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La communication gouvernementale à géométrie variable a créé la surprise lundi 18 novembre, dans un entretien avec Jean-Marc Ayrault publié par le quotidien Les Echos (Lire ici). Face à la contestation fiscale, le Premier ministre a estimé que « le temps est venu d’une remise à plat, en toute transparence, de notre système fiscal » , « à prélèvements obligatoires constants » , a-t-il précisé en annonçant une rencontre « dans les prochains jours » avec l’ensemble des partenaires sociaux.

« Dans ce dialogue, on évoquera la politique de l’emploi, les investissements, la formation professionnelle et le pouvoir d’achat. Le Parlement aura aussi un rôle essentiel à jouer » , en n’écartant pas un débat autour de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. « L’objectif c’est de parvenir à des règles plus justes, plus efficaces, et plus lisibles » en 2015, promet Jean-Marc Ayrault, tout en affirmant qu’il n’est pas question de « revenir sur la hausse de la TVA pour certains secteurs, [parce que] ce serait revenir sur la baisse du coût du travail » .

Difficile de comprendre la logique fiscale du Premier ministre : la TVA est un impôt indirect particulièrement inégalitaire, dont la hausse programmée au 1er janvier constituera un formidable « choc fiscal » pour les Français. A l’occasion d’une conférence de presse en janvier 2012, le candidat François Hollande avait pourtant dénoncé ce recours à la TVA, la considérant « inopportune, injuste, infondée et improvisée » . Dans le quatorzième de ses 60 engagements, Hollande promettait « une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu (PSR) » . « Une part de cet impôt sera affectée aux organismes de Sécurité sociale » , stipulait-il.

Lire > Tenez vos promesses, monsieur le Président !

Rappelons que la TVA est la principale recette fiscale, à hauteur de 139,3 milliards d’euros, indiquent les prévisions budgétaires pour 2014. Le rendement envisagé de l’impôt sur le revenu est de 75,3 milliards. Celui de la recette de l’impôt sur les sociétés est annoncé à 36,2 milliards, soit une chute de rendement de 13,5 milliards par rapport à 2013. Ce chiffre, que les ministres de l’Économie et du Budget, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve, se sont bien gardés de médiatiser, est révélateur de l’impact des mesures fiscales du « socialisme de l’offre » et de l’énormité des cadeaux faits au patronat.

Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est un cadeau qui allègera leurs charges des entreprises sans contrepartie et coûtera 10 milliards d’euros à l’État en 2014, en partie financé par la TVA prélevée sur les ménages. Autre cadeau, confirmé par le ministre de l’Écologie et de l’Énergie, Philippe Martin, l’écotaxe sur les poids lourds, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014, sera suspendue tant que la fiscalité n’aura pas été remise à plat, c’est-à-dire pas avant le projet de budget pour 2015.

Ayrault pas convaincant

La valse hésitation de Jean-Marc Ayrault envenime les divisions au sein du gouvernement et de la gauche. Le mot de « réforme » fiscale n’a pas été prononcé au cours de cet entretien, dans lequel le cap de l’austérité est maintenu : « Nous allons réaliser 15 milliards d’euros d’économies en 2014, mais il faudra continuer au moins au même rythme en 2015, en 2016, en 2017 » . On est loin d’un virage à 180 degrés et de la grande réforme fiscale que le candidat Hollande promettait dès 2012 en cas de victoire.

Lire ici la tribune d’économistes et syndicaliste publiée dans Le Monde , le 29 septembre : « Trop d’impôt, ou pas assez de réforme ? »

Plusieurs courants socialistes, dont Un Monde d’avance et Maintenant la gauche, deux courants représentant l’aile gauche du PS, ont annoncé en juillet leur souhait d’une « grande réforme fiscale » , « condition de la réussite de l’acte II du quinquennat » , préconisant, d’ici à 2017, « d’avancer par étapes vers l’individualisation de l’impôt et l’unification de la CSG et de l’impôt sur le revenu » , des mesures qui sont restés sans suite lors du débat parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2014.

Lire : Marie-Noëlle Lienemann : «  Il faut une réforme fiscale juste et efficace  »

« Le grand soir fiscal n’existe pas , répondait alors le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, dans les colonnes du Monde. Une réforme fiscale efficace, c’est une réforme dans la durée, au service de la justice et de la compétitivité » .

A gauche, une marche pour une « révolution fiscale »

Le moins qu’on puisse dire est que la réponse de Jean-Marc Ayrault n’a pas convaincu à gauche. « La remise à plat ne dit pas quel type de fiscalité il faut. Ce que répètent aussi Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici, c’est qu’il faut faire évoluer le système fiscal français pour diminuer l’imposition des entreprises en général, pas simplement celles soumises à la concurrence internationale » , a dénoncé François Delapierre, secrétaire national du Parti de Gauche, qui a présenté le 18 novembre, un contre-budget 2014 (accessible ici) sous le signe de la « révolution fiscale » , expression lancée en 2011 par l’économiste Thomas Piketty (avec Camille Landais et Emmanuel Saez), et reprise par le Front de gauche pour sa marche sur le « portique de Bercy », prévue le 1er décembre.

Face aux 15 milliards d’euros supplémentaires programmés dans le budget 2014, marqué par de nombreux cadeaux au Medef, le Parti de gauche a détaillé dans un document d’une vingtaine de pages un contre-budget pour « en finir avec l’austérité » . Mesure phare, un « impôt citoyen sur les revenus » du travail et du capital, se substituerait à la CSG et à l’impôt sur le revenu, avec un barème unique de 14 tranches et une assiette élargie, qui rapporterait 20 milliards d’euros la première année, tout en constituant « une baisse d’impôt pour plus de 90 % des citoyens » .

L’ensemble des recettes supplémentaires dégagées par le contre-budget a été évalué à 131,9 milliards d’euros pour financer, entre autres, la reprise du pouvoir aux banques et aux marchés financiers, le partage des richesses, l’abolition de « l’insécurité sociale » et la « planification écologique » , dont le coût global est estimé à 101,6 milliards.
Le Parti de gauche s’en prend à la hausse des taux de TVA, « 7 milliards d’euros ponctionnés dans les poches du peuple » et au crédit d’impôt compétitivité, « 20 milliards de cadeaux au Medef », des mesures que le Premier ministre a ferment défendu le 18 novembre.

Temps de lecture : 6 minutes
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