Cannes 2014 : « Mommy » de Xavier Dolan ; Mon palmarès idéal et pronostics

Christophe Kantcheff  • 24 mai 2014
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Cannes 2014 : « Mommy » de Xavier Dolan ; Mon palmarès idéal et pronostics

« Mommy » de Xavier Dolan

Illustration - Cannes 2014 : « Mommy » de Xavier Dolan ; Mon palmarès idéal et pronostics

Le festival se termine et j’avale les dernières projections des films en compétition : Léviathan , du Russe Andrey Zvyagintsev, Sils Maria , d’Olivier Assayas, et Mommy , du Canadien Xavier Nolan, que je rattrape à la faveur de ce qu’on appelle ici « la séance du lendemain ». J’y vais en sachant d’ores et déjà que le film a emballé la Croisette.

Xavier Dolan est une petite fusée : 25 ans et déjà 5 longs métrages à son actif. Il fait feu de tout bois : il réalise, signe le scénario, conçoit les costumes de ses personnages, assure le montage, et pour ce film, a supervisé les sous-titres en anglais et en français (le québecquois est peu compréhensible pour nous). Surtout, il en met plein les yeux et ne mégote pas sur les effets. Normal : les fées du cinéma se sont penchées sur son berceau, et le garçon est doué et prodigue.

Mommy* raconte l’histoire** d’une mère célibataire, Diane (Anne Dorval), qui récupère son fils, Steve (Antoine Olivier Pilon, cf. photo ci-dessus) un ado à tendance psychotique, pour s’en occuper seule. Il étudie avec une voisine, Kyla (Suzanne Clément), une enseignante ayant subi un traumatisme qui l’a laissé bègue. Mommy résumé ainsi, on n’imagine guère à quel point le cinéaste maintient haut la tension électrique tout au long de son film, avec des pics foudroyants qui reviennent aussi souvent que la folie de Steve se réveille.

Mais Mommy éprouve vite ses limites, qui viennent du fait que le cinéaste privilégie la sensation forte à l’intensité dramatique. Ses personnages crient, s’aiment et s’engueulent, souffrent et se font souffrir, mais tout cela se déroule en boucle, par effet de répétition, sans progression dramaturgique. Les comédiens, déjà vus chez Xavier Dolan, sont excellents ; la performance d’Anne Dorval pourrait même lui faire décrocher le prix d’interprétation. Mais à la demande du réalisateur, ils ignorent le jeu intérieur. Du coup, l’hystérie familiale ne fait qu’imiter la movida mordante du premier Almodovar, tandis que l’issue mélodramatique, annoncée dès les premières minutes, ne peut atteindre la force et l’épaisseur des films de Fassbinder, deux cinéastes auxquels on peut (lointainement) songer.

Si Mommy a réveillé la Croisette un peu engourdie par les derniers films entrant dans la compétition, c’est peut-être parce que les festivaliers, la presse en particulier, avait besoin d’un frisson fédérateur avant clôture, qu’au besoin ils suscitent de façon volontariste, en surestimant une œuvre. Le cru 2014 a été plutôt de bonne qualité. Mais aucun film n’a provoqué de véritable choc, aucun ne s’est révélé, non pas indiscutable, mais en mesure de polariser tous les esprits comme cela a été le cas, l’an dernier, avec la Vie d’Adèle . D’où la mise au pinacle du « phénomène » Dolan.

Alors, Mommy palme d’or, comme il se murmure ici ? Voilà qui constituerait un coup, d’autant que Xavier Dolan serait le réalisateur palmé le plus jeune de tous les temps. Mais la récompense aurait un caractère outré.

Mon palmarès idéal et des pronostics

Ce soir, les rumeurs ne vont pas bon train, précisément parce qu’aucun film ne se détache vraiment du lot. Je vais donc proposer ici mon palmarès idéal, tout en avançant quelques pronostics très hasardeux, mais, comme on dit dans les commentaires sportifs, je le fais pour la beauté du geste.

Palme d’or

Parce que c’est le seul vrai objet tranchant de la compétition, l’OVNI flamboyant, et parce que son auteur ne l’a jamais obtenue depuis qu’il fait des films, je décernerais la palme à ### Adieu au langage* , de Jean-Luc Godard** . Bien sûr, cela ferait grincer bien des dents, et hurler dans les chaumières, mais cette palme serait héroïque, car radicalement tournée vers l’art contre l’industrie.

La palme à ### Still the Water* , de Naomi Kawase** , serait aussi un bon choix. Jane Campion peut être tentée de décerner la palme à une femme – la réalisatrice de la Leçon de piano étant à cette heure la seule femme auréolée d’or cannois. En outre, Still the Water est un film fascinant pour qui est prêt à y entrer.

Mais il se pourrait que ### Mommy (cf. plus haut), ou ### Winter Sleep* , du Turc Nuri Bilge Ceylan** , qui vient ce soir de recevoir le prix Fipresci de la critique internationale pour la compétition officielle, emportent la récompense suprême.

Grand Prix

Sans hésiter, parce qu’il est rare de pouvoir honorer un film qui fait rire, même si c’est ici un rire au vitriol, je l’attribuerais aux ### Nouveaux Sauvages* , de l’Argentin Damian Szifron** , le seul cinéaste de la compétition dont on ne savait que très peu de choses avant le festival. Une petite révélation, donc.

Mais ### Winter Sleep, s’il n’a pas la palme d’or, pourrait figurer ici.

Prix de la mise en scène

Même s’ils ont déjà reçu de nombreux prix à Cannes, je le décernerais à **Luc et Jean-Pierre Dardenne pour *Deux jours, une nuit , car ils ont réussi à rendre passionnant un scénario, toujours très minutieux chez eux, mais qui avait en germe le risque de la monotonie.

Prix du scénario

C’est un des prix les plus difficiles à décerner. Comment faire la part des choses entre le film terminé, celui qu’on a découvert ici, et le scénario initial ? Pour son inventivité, la richesse de ses registres, je le donnerais à ### Timbuktu* , du Mauritanien Abderrahmane Sissako** .

Prix du jury

Ce serait un bel encouragement que de le décerner à ce joli film italien, le second d’ **Alice Rohrwacher, *les Merveilles.

Prix d’interprétation féminine

Julianne Moore , dans Maps to the Star , de David Cronenberg.
Mais Marion Cotillard ne déparerait pas. Anne Dorval (voir plus haut), dans Mommy , a aussi ses chances.

Prix d’interprétation masculine

Gaspard Ulliel , dans Saint-Laurent , de Bertrand Bonello.
Mais là, les candidats se bousculent : on parle beaucoup de Steve Carell , dans Foxcatcher , de l’Américain Bennett Miller. Timothy Spall , dans Mr Turner , de l’Anglais Mike Leigh, est un outsider sérieux.

Enfin, on a noté une surabondance de chiens dans les films de la compétition. De Roxy, le chien de Jean-Luc Godard, aux avant-postes d’ Adieu au langage , au bouledogue d’Yves Saint-Laurent, Moujik, en passant par le chien malencontreusement tué dans le film de Cronenberg. Et j’en oublie. Mais c’est le chien de White Dog , du Hongrois Kornel Mundruczo, film présenté à Un Certain regard, qui a remporté cette année la Palm Dog – cette information n’est pas un fake (ou une blague, comme on dit aujourd’hui).

Voilà. Les jeux sont faits. Rien ne va plus. Je vous donne rendez-vous dans la soirée, une fois la cérémonie de clôture achevée, pour le commentaire du palmarès et une esquisse de bilan de cette édition 2014, qui s’achève un jour plus tôt que d’habitude, pour laisser place, dimanche soir, aux résultats des élections européennes.

Temps de lecture : 7 minutes
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