«Ce n’est pas simple d’être un papa précaire»

Stéphane a débarqué à l’atelier d’écriture. Il tente de travailler en intérim dès qu’il le peut. Mais il a une bonne raison de résister: ses deux filles qu’il peut voir un week-end tous les quinze jours.

Eloïse Lebourg  • 3 mai 2015
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«Ce n’est pas simple d’être un papa précaire»

Je vous dois des excuses.** Voilà quelques semaines que nous n’avons pas écrit dans le blog. Plusieurs raisons à cela: des mariages, un enterrement. Chris a quitté Clermont-Ferrand et le Squat pour rejoindre sa famille. Ça a fait un vide à l’atelier d’écriture. Il était notre dessinateur pour le projet de notre livre. Les autres ont continué à venir évidemment, mais n’arrivaient plus à écrire. On a décidé de faire une pause.

Illustration - «Ce n'est pas simple d'être un papa précaire»

On a préparé la projection en avant-première de notre film sur l’atelier d’écriture. Il sera diffusé aux rencontres nationales des médias libres et du journalisme de Résistance à Meymac, le 30 mai (Voir le programme au bas de cette page). Réservez d’ors et déjà vos places. Ce seront les SDF qui présenteront le film. Ça va être chouette.

En attendant, à l’accueil de jour, Stéphane a débarqué à l’atelier et a remis le texte qui suit. Pour cet homme qui tente de travailler en intérim dès qu’il le peut, la seule alternative pour l’instant est le RSA, les colis alimentaires. Mais il a une bonne raison de résister: ses deux filles qu’il peut voir un week-end tous les quinze jours. *


Reprendre tout depuis le début: Une séparation après neuf ans de vie commune et deux petites princesses. Dormir à gauche et à droite. Au début, je ne voyais mes enfants que 4 heures par semaine. J’ai été obligée d’appeler ma sœur qui m’a hébergé. Je suis revenu à Clermont pour faire mon dossier RSA ( NDLR: Stéphane n’y avait pas droit tant qu’il vivait avec sa femme qui travaillait) et j’ai été hébergé chez une dame qui me demandait un loyer de 80 euros.

Au début, c’était bien, mais c’est vite devenu invivable. Je n’avais pas le droit de me doucher quand je voulais, je devais demander pour regarder la télévision, et je ne pouvais pas me faire à manger parce que ça donnait envie de vomir à sa maman. J’étais obligé de me faire des sandwiches et je pouvais utiliser la cafetière uniquement si je payais le café. Alors, je traînais un peu avant de rentrer le soir. Après le repas à l’accueil de jour, j’allais me poser avec un ami à qui j’apprenais le français et lui me parlait de son pays. Je ne voulais pas aller en hébergement d’urgence, parce que je ne peux pas y recevoir mes enfants. J’allais au bus du resto au moins une fois par semaine. J’y voyais les copains et les bénévoles.

Mes filles, j’en suis fan , ce sont mes petites princesses, elles sont toute ma vie. Je les ai vues venir au monde, du moins la plus grande. J’ai même coupé le cordon. J’en ai gardé un bout que j’ai mis à côté de l’urne de ma mère qui venait de mourir. La petite dernière est arrivée pendant que j’étais dans l’ascenseur, je venais de laisser la grande en bas. Elle est restée en néo-nat pendant une semaine. A l’époque, je bossais mais chaque jour j’étais près d’elle.

A l’époque où j’étais en difficulté de logement, je ne voyais les filles que de 14h à 18h. Quatre heures, ça passe tellement vite, on n’avait pas le temps de faire grand-chose. On allait beaucoup au jardin Lecoq, je leur préparais le goûter. Quand il faisait moins bon, on allait à la médiathèque, au chaud, ça permettait de lire.

J’étais encore chez la dame dont je vous parle plus haut quand j’ai découvert l’accueil de jour. J’y suis venu pour la domiciliation comme me l’avait préconisé le CCAS. J’ai un petit peu raconté ma vie et mon parcours, Alex m’a expliqué comment marchait le courrier. Il m’a aussi renseigné sur les repas, le petit déjeuner du matin et le petit panier repas du samedi. Alors, je suis venu souvent, je participais aux ateliers cuisine et je donnais un coup de main comme encore aujourd’hui. J’étais assez motivé et il me fallait quelque chose. Sybille m’a pris sous son aile et m’a fait signer un protocole AVDL, qui permet de faire une recherche de logement. Cécile a fait marcher ses contacts et nous avons pu trouver l’appartement dans lequel je vis aujourd’hui.

J’ai beaucoup de reconnaissance et pour cette raison je n’ai pas le droit de baisser les bras. Le collectif a pris l’appartement à son nom et je payais mon loyer ici. J’ai pu ainsi voir plus souvent mes filles et depuis quelques semaines j’ai repris enfin le bail à mon nom. Avoir l’appart, c’est bon pour le moral, je me sentais plus libre, plus posé. La première fois que j’ai pu cuisiner, prendre une douche, faire ce que je voulais quand je voulais sans rendre de compte à personne, rahhhh, le pied!!! La première semaine, je ne suis pas sorti de chez moi, j’ai hiberné!

Maintenant je suis autonome. Mais, mon parcours aura été chaotique, et la galère n’est pas finie. Ce n’est pas simple d’être un papa précaire, même s’il existe plein d’activités à faire avec ses enfants qui ne coûtent rien! Mais le plus dur, c’est de ne pas voir mes filles autant que je le voudrais… Oui, elle est là en fait, ma plus grosse galère…

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