Arrivée des réfugiés : un pas décisif vers le monde d’après

Le tollé de la gauche contre la décision « opportuniste » prise par Angela Merkel d’accueillir en masse les réfugiés est bien mal venu. Car cette arrivée procède de la recomposition inévitable de notre monde.

Le Yéti  • 10 septembre 2015
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Arrivée des réfugiés : un pas décisif vers le monde d’après
Photo : AFP

Illustration - Arrivée des réfugiés : un pas décisif vers le monde d'après

Qu’Angela Merkel ait fait montre de pragmatisme en prenant cette décision à rebrousse-poil des phobies habituelles de son camp de droite est une évidence :

-* l’Allemagne souffre d’un grave déficit démographique qu’il lui faut combler ;

-* et il lui faut aussi remédier, du fait du vieillissement de sa population, à la raréfaction prévisible de la force de travail sur son territoire.

L’arrivée des réfugiés offre bien une opportunité que la chancelière allemande a su saisir. Même pour de mauvaises raisons.

On sauve d’abord, on discute ensuite

Jean-Luc Mélenchon n’a pas tort d’y déceler quelques probables arrières-pensées de nature sociale : main d’œuvre bon marché, peu exigeante a priori en matière de droit du travail, etc. Mais ces objections appellent deux remarques :

-* quand un naufragé se noie, la prime urgence est de le sauver, pas de s’inquiéter de savoir si le capitaine du navire va en profiter pour l’envoyer trimer gratos en salle des machines ;

-* du fait de la mondialisation et des délocalisations, le problème des pressions sur le droit du travail et les revenus occidentaux préexiste bel et bien à l’arrivée des réfugiés sur le sol européen.

Bien au contraire l’installation de ces derniers en « terre promise » pourrait bien entraîner chez ceux-là une prise de conscience des nouvelles possibilités qui s’offrent à eux, en matière de luttes sociales, par exemple.

Comme pour les précédentes vagues migratoires de l’Histoire, il y a fort à parier que l’intégration de ces nouveaux migrants ne se limitera pas au seul domaine économique, mais s’étendra aux sphères syndicale, politique, familiale, culturelle… La vague migratoire d’Italiens et de Polonais qui suivit la Première guerre mondiale a-t-elle empêché les conquêtes du Front populaire de 1936 ?

Un nivellement mondialisé des niveaux de vie

Allons plus loin : crise aidant, nous sommes probablement en train d’assister à un de ces formidables retournements dont l’Histoire a le secret, au grand dam d’élites désemparées qui prétendent en maîtriser le cours (Merkel comprise). Ce qui se joue durant cette trop longue période critique de transition entre un système néolibéral fini et un monde d’après encore bien incertain, c’est le nivellement mondialisé des niveaux de vie à travers toute la planète.

Nivellement par le bas ? Allons donc, c’est peut-être ce qui apparaît au sein des vieilles sociétés occidentales privilégiées, mais certainement pas dans les pays émergents où les revenus ne cessent de monter, comme en Chine ou en Inde.

La baisse des revenus dans les pays occidentaux doit aussi être relativisée par un mouvement similaire de baisse des prix, sensible déjà dans les prix réels pratiqués dans l’immobilier, et plus généralement dans le mouvement déflationniste qui affecte l’empire occidental dans son ensemble. C’est qu’il est une règle incontournable de l’équilibre économique : il se suffit pas de produire (à bas coût), il faut aussi vendre (moins cher à mesure que les revenus baissent) ce qui est produit .

Les mouvements migratoires s’inscrivent dans la logique de cet incroyable bouleversement. Plutôt que d’en prendre ombrage, les forces de gauche gagneraient à changer d’urgence leurs vieux schémas de pensée et s’aviser, non pas d’enrayer une évolution qui leur échappe, mais d’essayer de précéder l’irréversible mouvement historique en tentant d’y faire respecter les valeurs dont elles se réclament. Car rien de plus déprimant que de voir la gauche se laisser coiffer sur le poteau par des éminences grises de droite :

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