Attentats à Paris: consensus total au collège

Dix mois seulement après le séisme provoqué dans nos écoles par les attentats de Charlie Hebdo et de l’hyper Casher, voici la communauté éducative obligée d’accompagner les élèves en décryptant avec eux ces événements dramatiques et choquants qu’ils condamnent cette fois unanimement.

Jean-Riad Kechaou  • 17 novembre 2015
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Attentats à Paris: consensus total au collège

« En tant que professionnel de l’éducation, vous serez dès lundi devant vos élèves, des plus jeunes aux plus âgés. Des élèves auxquels rien de cette tragédie n’aura échappé et qui vous interrogeront sans aucun doute, vous qui êtes pour eux des repères importants. Parce que vous leur offrez les savoirs nécessaires à la compréhension du monde d’aujourd’hui, il est important que vous puissiez leur répondre. Ce dialogue, je le sais, n’est jamais évident à mener. Pour vous aider dans cette difficile mission, des ressources spécifiques sont mises à votre disposition. »

Un mail de notre ministre Najat Vallaud-Belkacem envoyé dimanche que je perçois comme une lettre de mission. Elle est concise et rappelle le rôle fondamental des enseignants.

Une émotion palpable dans tout le collège

Dix mois seulement après le séisme provoqué dans nos écoles par les attentats de Charlie Hebdo et de l’hyper Casher, nous voici obligés d’accompagner nos élèves en décryptant avec eux ces événements dramatiques et choquants. Dimanche, la conseillère principale d’éducation a proposé par mail son aide à tous les professeurs la sollicitant. Une initiative bienvenue. Au collège, une cellule d’écoute a été mise en place avec l’infirmière, des professeurs volontaires et la conseillère d’orientation psychologue. Elle a reçu toute la matinée un nombre important d’élèves choqués, de sixième et de cinquième essentiellement. Certains ont perdu un proche, d’autres des amis de leurs parents. Ils ont aussi vu des images trop violentes à la télévision ou sur les réseaux sociaux, et quelques-uns d’entre eux étaient au stade de France.

À la récréation, en salle des professeurs, l’émotion est aussi palpable. Deux collègues ont perdu un proche. Un débriefing est réalisé : Tout le monde semble ressentir la même chose : un large consensus est présent et les élèves condamnent unanimement cette barbarie. On est bien loin des vives contestations de janvier dernier sur la véracité des événements, mais aussi sur les excuses accordées aux terroristes ou encore la remise en cause des principes républicains, de liberté et de laïcité notamment. Le personnel de direction et la CPE passent aussi pour nous rappeler qu’ils nous soutiendront en cas de besoin et seront dans les couloirs pendant la minute de silence qui se déroulera finalement sans problèmes.

Les élèves sont choqués et condamnent

Alors que s’est-il dit dans nos classes ?

En rencontrant mes élèves de sixième le matin, j’avais décidé dès le départ de leur donner la parole pour qu’ils me livrent leurs états d’âme, mais me fassent part aussi de leurs interrogations. Ils ont pris la parole plus de vingt minutes en essayant de répondre eux-mêmes, au départ, aux questions qu’ils se posaient.

-* Pourquoi nous attaquer ? On leur a fait quoi ? Demande Yassine.
-* Car on a fait des frappes aériennes sur Daesh répond Roméo.
-* Mais c’est quoi Daesh interroge Adham.
-* Comment Daesh a été créé ? Surenchérit Manel.
-* C’est des terroristes qui vont tuer des personnes dans pleins de pays ! S’exclame Rayan.
-* Ils tuent sans raisons ce n’est pas bien. On a peur d’être tué maintenant,
même en allant à l’école ! On est triste explique Manel.
-* Mais on ne peut pas vivre en ayant tout le temps peur s’insurge Anne-Lise.

-* Je comprends pas, ceux qui sont morts, c’est pas eux qui les ont attaqués. Ils tuent des personnes pour rien. Ils ont qu’à tuer ceux qui leur font du mal déclare Salma.
-* Ils ont attaqué des femmes, des enfants. Ils n’ont pas le droit de faire ça. Ce n’est pas des musulmans. La religion qu’on pratique, ce n’est pas de tuer des innocents. Il y a eu trop de morts en si peu de temps C’est n’importe quoi ! S’insurge Modibo.

-* Ils les droguent ! S’exclame Rayan.
-* Non, ils leur font la morale lui répond Manel.
-* On ne s’explose pas comme ça sans avoir pris des choses, hein ! Lui rétorque Yassine.

-* Pendant le match, j’ai cru que c’était des pétards, puis ils ont parlé d’attentats, ça m’a fait peur, c’est dangereux explique Salim.
-* Dans notre religion, c’est pas écrit ça, ça se fait pas, moi en regardant le match, j’ai vu que c’était des attentats, j’étais choquée ! Déclare Myriam.

-* Moi j’ai eu peur pour mes oncles de Paris avoue Adham.
-* On dirait qu’ils n’ont pas de religion, ils tuent des gens de toutes les religions, c’est pas normal répond Thomas.
-* Ils veulent faire peur à l’Etat ! Poursuit-il.
-* Le passeport syrien, c’est bizarre quand même, on va attaquer la Syrie ça veut dire ? Demande Rayan.
-* C’est bête de faire des attentats avec ses papiers dans sa poche ! Poursuit-il.
-* Ils disent qu’ils se battent au nom de la religion, mais ce n’est pas ça la religion ! Peste Salim

-* Je voulais aller voir le match, mais il n’y avait plus de places, heureusement dit Adham
-* C’est énervant, car si on a peur, on ne pourra plus aller manger au restaurant, voir des matchs regrette Roméo.
-* On est plus en sécurité , on se sent visé de partout dit Manel tristement.

-* Ils l’ont fait exprès pour nous angoisser, car il va y avoir une très grande guerre ! Déclare Modibo.
-* Oui ? il va y avoir la troisième guerre mondiale confirme Thomas d’une manière solennelle.
-* En plus, les Français ont envoyé des bombes rajoute Salim.
-* Non ? il ne faut pas ! car ils vont se venger après !Dit Yassine.
-* Oui, il ne faut pas les attaquer, car plus on les attaque, plus ils sont énervés contre nous répond Salim

-* Une dame au Bataclan a dit qu’il devait arrêter de bombarder la Syrie dit Myriam.
-* Oui mais c’est comme céder à leur chantage proteste Salim.
-* Il faut mettre fin à tout ça, faire la guerre là-bas, mais sans tuer les femmes, les enfants, les innocents quoi ! Enchaîne Modibo.
-* Hollande doit contacter Daesh propose naïvement Myriam.
-* On ne peut pas être ami avec les terroristes lui répond Nicolas.

-* Ils veulent le monde à eux, s’emparer même de la France dit Salim.
-* De toute façon ce n’était pas notre problème, pourquoi on est parti faire la guerre là-bas interroge Anne Lise.
-* Paris, c’est devenu une base militaire maintenant déclare tristement Kantra en clôturant cet échange très riche.

La condamnation est unanime et me rassure. Dans cette classe, les élèves n’imaginent même pas que l’on puisse se référer à l’islam pour commettre de tels crimes. Et puis dans ces massacres, les tueurs n’ont pas fait de distinctions entre les Français, contrairement à janvier, ce qui renforce leur sentiment que ce sont tous les Français qui sont touchés, y compris les musulmans. Certains sont en colère et souhaiteraient que la France mette fin aux actions de ces terroristes.

Un cours de géopolitique

Je décide de leur expliquer la genèse de l’État islamique depuis l’intervention américaine en Irak en 2003 jusqu’à la création d’un groupuscule d’islamistes d’obédience sunnite refusant de reconnaître l’autorité du nouveau gouvernement chiite. Sans rentrer dans les différences religieuses, chaque chose en son temps.

Carte de l'Etat islamique réalisée par l'AFP

Une carte de l’État islamique est projetée pour leur montrer que la zone d’influence de ces hommes est à cheval sur l’Irak et la Syrie pays fragilisé par la guerre civile. Sans jamais rentrer dans les détails, les élèves semblent comprendre.
<doc11293|left>Puis il faut leur expliquer l’ambition de ces hommes : fonder un empire avec pour chef unique le calife. La plupart découvrent pour la première fois le portrait d’Al Baghdadi et sont apeurés en découvrant la carte du califat telle que l’imaginent ces hommes.

-* Ils veulent aller jusqu’en Espagne, monsieur ?
-* Ils vont y arriver ?
-* Non, ils ne sont que 30 000 soldats en Syrie et en Irak et quelques milliers dans les autres pays
-* Et pourquoi on bombarde la Syrie ?
-* Non, juste un territoire syrien sous leur emprise.
-* Et les russes, ils combattent aussi l’Etat islamique ?
-* Pas pour le moment, ils préfèrent aider Bachar al Assad contre les rebelles
-* Et la France, elle aide Bachar ?
-* Oui, indirectement, en combattant l’Etat islamique…

Voilà l’un des moments les plus compliqués de la séance, expliquer les trois types d’ennemis de Bachar Al assad, AlQaeeda, l’Etat islamique et les rebelles syriens ce qui n’est pas évident à comprendre même pour un adulte. Le sujet est survolé pour éviter de semer la confusion.

Les soldats de la fraternité

Enfin, je leur explique que l’État islamique recrute dans tous les pays où vivent des musulmans et qu’en France, plus de 1000 Français sont partis en Syrie ou en Irak rejoindre les troupes de ces terroristes. Ils ne comprennent pas comment on peut faire un tel choix lorsque l’on vit en France. Je leur explique que pour la plupart, ces jeunes musulmans sont fragiles et qu’ils ont souvent été délinquants avant de devenir intégriste. Encore un mot à définir. Ce dialogue sert aussi à ça : donner du sens à des mots qu’ils ne comprennent pas. C’est donc ce genre d’individus qui ont commis les attentats de vendredi, des Français d’origine maghrébine, souvent fichés pour des délits de droit commun avant d’être suivis pour leur radicalisation.

-* Ce sont des Français monsieur ?
-* Je pensais que c’était des Syriens !
-* Non, ils sont bien français, nés en France pour la plupart, comme vous.
-* Et il y en a beaucoup encore en France ?
-* Il y en a et la police déjoue régulièrement des projets d’attentats…

Une fois achevée, pour confirmer ce que beaucoup d’élèves avaient déclaré en début d’heure je rappelle à toute la classe que ces hommes ont une interprétation bien à eux de l’islam n’hésitant pas à remettre en cause certains fondements religieux dans l’objectif d’aller au paradis avec ce statut de martyr accordé par leurs chefs. Tous trouvent cela risible et naïf de croire à ça.

Je finis par leur rappeler qu’ils ont tous aujourd’hui un rôle à jouer, qu’à leurs manières aussi ils doivent être des soldats, des soldats de la fraternité, du vivre ensemble. Ils doivent combattre des propos de certains qui légitimeraient les actions de ces barbares ou contester ceux des autres voulant faire l’amalgame entre ces barbares et l’ensemble des musulmans. Ils semblent d’accord et confirment avoir entendu ce genre de propos.

Le cours suivant avec la classe de cinquième est globalement identique au précédent. Je m’attends à des séances plus difficiles avec mes élèves de troisième l’après-midi. En dehors du fait que certains soient mieux au fait du déroulé des événements et des motivations des terroristes, les deux classes font aussi preuve d’une indignation totale à l’égard de ces attentats. Un élève propose même de refaire une édition spéciale du journal scolaire ou un livre dans lequel seraient consignés des dessins pour exorciser leurs peurs.

On ne peut que sortir réjoui de ces échanges, le dialogue entamé après les attentats de janvier semble avoir porté ses fruits et les terroristes ont échoué, en tout cas chez ces jeunes de banlieue populaire, dans leurs tentatives de divisions de la communauté nationale.

Affiche de Martin Ferrer réalisée avec une classe de cinquième du collège Camille Corot à Chelles

Le 12 décembre, un ancien élève du collège, aujourd’hui aux beaux arts, exposera des affiches sur les principes et les valeurs de notre République. Il était venu en mai dernier pour travailler avec les élèves suite aux attentats de janvier. Cette exposition sera, plus que jamais, l’occasion de réaffirmer notre attachement aux valeurs et principes de notre pays.

*« L’École de la République transmet aux élèves une culture commune de la tolérance mutuelle et du respect. Chaque élève y apprend à refuser l’intolérance, la haine et la violence sous toutes leurs formes. C’est malheureusement dans des heures aussi douloureuses que celles que nous vivons actuellement que l’importance de cette mission apparaît avec autant de force et d’intensité. »
*

La fin de la lettre de la ministre résume finalement très bien cette journée. Il est dommage comme toujours que soit mis en avant notre importance dans des moments si tragiques puis que l’on remette parfois en cause notre statut ou nos missions. C’est à l’école publique et laïque que se mène en premier lieu la guerre contre cette montée du fanatisme. Ne l’oublions pas.

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