2015, une année mouvementée au collège…

L’année 2015 a été d’une intensité inégalée, de la gestion des élèves au lendemain des attentats à la réforme du collège, sans oublier tous ces débats sur la laïcité et les nouveaux programmes d’histoire laissant apparaître une poussée réactionnaire dans notre pays.

Jean-Riad Kechaou  • 30 décembre 2015
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2015, une année mouvementée au collège…

Une rentrée de janvier sur les rotules

Manifestation  rue de Grenelle.  Décembre 2014. Crédit: Rafif Rifaï
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Fin décembre 2014, la défaite amère achevant la lutte acharnée de trois semaines avec mes collègues pour le maintien du classement ZEP de mon établissement m’avait laissé sur les rotules et la rentrée de janvier s’annonçait difficile.

Repartir bosser comme si de rien n’était pour une institution qui nous avait méprisée n’était pas chose facile. Je n’oublierai jamais les services de sécurité nous chassant comme des voyous du hall d’entrée de l’inspection d’académie et les cars de CRS devant le ministère pour accueillir des manifestants désirant simplement discuter avec leur hiérarchie.

Deux cents établissements ont ainsi été écartés de l’enseignement prioritaire sans jamais que l’on écoute leurs revendications.

Gérer le tremblement de terre Charlie

Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher ont été une sacré secousse qui nous a étrangement remobilisée. Succès des théories du complot, satisfaction affichée par certains ou remise en cause de la minute de silence par d’autres, il le fallait bien pour ces gosses qu’on aime, même ou surtout quand ils sont paumés.

Les aider à réfléchir en citoyen au lendemain des attentats, voilà le coeur de notre métier.

Et puis, on réalisait alors l’importance de l’école dans notre pays. Les mesures annoncées ne furent clairement pas à la hauteur de nos espérances, de la com’ encore et toujours avec une célébration de la laïcité le 9 décembre et un cours d’enseignement moral et civique…

Mettre le paquet à l’école élémentaire dont les moyens sont limités en comparaison avec l’enseignement secondaire, non, améliorer l’encadrement de nos élèves , non plus, retoucher la carte de l’enseignement prioritaire dans des zones défavorisées d’où sont originaires la plupart des terroristes, encore non …

Ces annonces laissaient clairement apparaître le manque d’ambitions pour l’école qui est pourtant le premier rempart contre la radicalisation religieuse.

Le triomphe d’une laïcité identitaire

Les débats qui ont suivi ces attentats, notamment sur la laïcité à l’école n’annoncent rien de bon. On assiste au triomphe d’une laïcité identitaire comme l’explique très bien l’historien Jean Baubérot.

Enfants accusés d’apologie du terrorisme, longueur des jupes des élèves musulmanes, porc à la cantine, voilà des sujets récurrents de l’après Charlie… Une partie de la société française fait une fixation sur l’islam, du nouveau parti des Républicains qui en fait son premier thème de colloque au magazine Marianne qui voit des complices de l’islamisme de partout.

Capture d'écran du journal télévisé de France 2 du 21 janvier
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Cela se ressent dans nos établissements où tout est sujet à polémique. Polémique entretenue par certains médias.

Mon passage au zapping de Canal plus pour y contredire des propos de François Hollande au sujet de la laïcité me reste ainsi en travers de la gorge.

La raison ? Une équipe de France 2 était venue faire un reportage sur l’après Charlie dans mon collège. En deux heures d’entretien, on n’a retenu que les quelques phrases (que j’assume par ailleurs) expliquant que certains élèves musulmans perçoivent la laïcité comme une attaque de leur religion à cause de ces polémiques trop fréquentes.

Un montage très orienté étant donné que j’avais passé l’essentiel de l’interview à louer les mérites de la laïcité, indispensable pour le vivre ensemble dans notre pays.

La vie continue au collège …

Dossier réalisé par des apprentis journalistes dans le Politis n° 1346 du 26 mars
{: class= »img-responsive spip-img  » width= »326″ height= »416″} Heureusement, dans les mois suivants les attentats de janvier, projets, voyages et sorties ont été réalisés sans accrocs par l’ensemble des professeurs même si le maintien du plan Vigipirate ne nous a pas facilité les choses pour sortir du collège.

Pour ma part, les aventures de mon club journal m’ont remotivé. La collaboration avec Politis lors de la semaine de la presse à l’école et l’émerveillement des élèves une fois leurs articles publiés dans le journal resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

La récompense obtenue aux concours des meilleurs journaux scolaires de l’académie de Créteil m’a aussi ravi. Elle récompensait un numéro spécial sur les attentats mis en page par un ancien élève, étudiant aux beaux arts. C’était avec lui le début d’une amitié et d’une belle collaboration sur d’autres projets.

Les méfaits de notre plan social

Mon collège, un peu plus que les autres années, a vu partir en juillet des collègues qui utilisent ces points d’ancienneté ZEP que l’on perdra dans 3 ans si on ne mute pas. Voilà l’un des cadeaux de notre déclassement de l’enseignement prioritaire, un véritable plan social avec le maintien d’une prime ZEP de 100 euros pendant 3 ans comme si cet argent était la raison première de notre combat… Retour en province pour certains, rapprochement du domicile ou établissement plus calme pour d’autres, ces amis qui partent, c’est toujours dur à vivre.

Cette lutte nous aura néanmoins permis d’aborder la rentrée de 2015 avec des conditions similaires aux années précédentes pour ce qui est du nombre d’élèves par classe. Mais sans ce label ZEP, il faut chaque année être vigilant quand les dotations horaires arrivent dans les établissements, ce sont elles qui déterminent le nombre d’élèves par classe et la possibilité ou non de faire des demi-groupes (en maths et en français notamment).

La réforme bancale du collège

Une du Politis n° 1353 du 13 mai 2015
{: class= »img-responsive spip-img  » width= »210″ height= »273″} J’étais pour cette réforme du collège, au départ, je l’avoue. Il y a dans nos classes des enfants en difficulté qui doivent également apprendre. Ceux qui lisent mal à l’entrée en sixième, qui décrochent, qui font des bêtises et qui sont ensuite pointés du doigt pour montrer l’échec de notre système.

Mais cette réforme bancale sera un échec si on ne recrute pas davantage pour encadrer convenablement nos élèves. Une condition indispensable pour mener à bien des projets et aider aussi individuellement les élèves comme la réforme le préconise.

Un bon nombre de professeurs sont donc très inquiets, à juste titre, pour leurs matières, mais aussi pour la cohésion d’équipe devant se partager ces fameux projets pluridisciplinaires, les EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) pris sur leurs temps d’étude. Cela nous soucie d’autant plus vu la crise du recrutement des enseignants qui persiste malgré les annonces de la ministre.

En y regardant de plus près, on peut malheureusement penser que le premier objectif de cette réforme est économique: réduire le nombre d’heures d’enseignement et donc alléger la masse salariale de l’éducation nationale.

Vague réactionnaire sur les programmes d’histoire

Enfin, ces débats sur cette réforme et notamment son programme d’histoire ont mis en exergue les relents patriotiques, racistes même de l’après 11 janvier.

La gloire de la grande France était galvaudée selon certains par ces projets de nouveau programme d’histoire. Le christianisme médiéval ou les philosophes des Lumières ne pouvaient être mis en parenthèse pour consacrer plus de temps aux projets interdisciplinaires.

Exit donc de ces programmes, l’histoire de l’Afrique, de l’immigration et mise sous tutelle du chapitre sur l’islam pour rassurer tout le monde.

La gestion difficile des orientations de nos élèves

Etre professeur principal de troisième est un véritable sacerdoce. Si on ne me le demandait pas, sûr que j’éviterai cette fonction trop prenante et parfois désespérante quand on laisse partir en seconde générale des élèves qui n’ont pas fourni les efforts attendus ni atteint le niveau requis en sachant très bien que ce qu’ils considèrent comme un cadeau ne l’est pas.

Quelle tristesse aussi d’observer tous ces élèves qui ont choisi parfois un peu au hasard la spécialité de leur futur bac professionnel, un avenir se réglant en 4 voeux émis à 14 ans et des résultats qui seront parfois décevants pour certains. Il voulait faire mécanique, il fera chaudronnerie, elle voulait faire sanitaire et social, elle fera secrétariat. Bon vent les enfants !

La réforme de la voie professionnelle de 2009 avec ce bac professionnel en trois ans attire davantage d’élèves et revalorise enfin cette filière. Néanmoins, la sélection est trop brutale et il faudrait préparer cette orientation dès la quatrième ce qui remet en cause le principe du collège unique qui affiche pourtant des limites criantes.

Le brevet des collèges, une mascarade…

Fin juin, l’examen du brevet clôture notre année scolaire de manière risible. Les commissions de barémisation sont souvent tendues et la journée de correction se résume finalement en une validation pour un bon nombre d’élèves d’un examen qui n’en est pas un. Toute cette énergie humaine, cette organisation, cet argent public pour ça…

Comment faire un examen crédible avec un collège unique et des élèves si hétérogènes ? Exiger peut-être la mention Assez-bien pour le passage en seconde générale et technologique ce qui correspondrait un peu plus au niveau attendu en fin de troisième.

Une rentrée au charbon

A l’image de tous ces collèges difficiles de l’académie de Créteil, cette rentrée scolaire a vu débarquer dans mon collège une dizaine de jeunes professeurs venus de la France entière. Même si leur âge me fait réaliser que les années défilent vite, cela nous mobilise pour les aider à bien s’intégrer comme les anciens soixante-huitards l’ont fait avec nous, avant de partir en retraite, il y a quelques années.

En novembre, comme en janvier, il a fallu de nouveau aller au charbon après les attentats de Paris, pour gérer les réactions d’élèves choqués et condamnant cette fois unanimement les attentats, ce qui n’était pas le cas dix mois plus tôt. Les cibles choisies par les terroristes ne prêtaient pas à polémique et le travail effectué en janvier semble aussi porter ses fruits.

Des satisfactions aussi, heureusement…

Zachary, Ayoub, Elodie et Katarina en compagnie d'Ali Baddou et Emmanuel Macron. Crédit:  Jeff Lanet/Canal +
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Personnellement, la participation de quatre de mes apprentis journalistes à l’émission du Supplément de Canal plus pour interviewer le ministre de l’économie m’a rendu très fier tout comme l’ensemble de la communauté éducative.

Ces élèves qui se sont remarquablement débrouillés face à Emmanuel Macron, malgré la pression, c’est l’illustration que les banlieues populaires sont une source de richesse pour notre pays et qu’il ne faudrait pas l’oublier.

Enfin, l’exposition d’affiches réalisées par Martin Ferrer sur les valeurs et les principes de la République dans mon établissement a conclu de belle manière cette année 2015 bien mouvementée.

Voir l’aboutissement d’un projet lancé au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher par cet ancien élève m’encourage à poursuivre cette belle mission: contribuer à l’épanouissement de ces adolescents.

C’est l’essence même de notre métier.

Exposition d'affiches réalisées par Martin Ferrer. Hall du collège Corot à Chelles
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