Climat:coulisses de la Conférence COP 21 (9) La mort lente du mouvement associatif environnementaliste

Claude-Marie Vadrot  • 11 décembre 2015
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Maintenant que le Conférence climatique de Paris, est pratiquement terminée et que la communauté internationale, le gouvernement français et les Nations Unies sont en train de s’auto-congratuler sur les termes d’un accord de pacotille, il est peut-être temps de se demander à quoi servent ces associations rebaptisées il y a quelques années ONG pour Organisations Non Gouvernementales. Mais, s’agissant du passé encore très proches, il faudrait bien sur savoir de quelles associations il s’agit. Celles qui se sont retrouvées à Montreuil, celles qui se sont réunies au 104, celles qui se sont compromises au Grand Palais avec les grandes entreprises lancées dans le greenwashing ou encore celles, les principales qui ont participé au Bourget à l’exposition « Génération Climat » ou, quelques centaines de mètres plus loin, celles qui étaient admises dans la zone bleue des négociateurs dans laquelle leurs observations et leur contestation a été organisée sous surveillance? Comme ce sont souvent les mêmes, il est bien difficile de les séparer, de trier le bon grain de l’ivraie.

Je ne peux donc que reprendre, sous une forme ramassée, ce que j’ai écrit dans un chapitre du livre (Climat : la planète en danger, Editions du Rocher) publié il y a quelques jours. Car une longue fréquentation des conférences climatiques, m’a progressivement amené à douter de leur efficacité, voire de leur utilité. Quelle que soit la sincérité de leurs responsables, ils ont perdu le contact avec une société civile qu’ils sont censés représenter et dont ils seraient (furent ?)l’émanation…

« Le divorce progressif avec les réalités, les discussions byzantine sur le sexe des pollutions et destructions, les gouvernements en portent la responsabilité mais les associations devenues les ONG également. Car, peu à peu, les responsables associatifs se sont professionnalisés, perdant leur fraicheur, leur spontanéité, voire leur force militante. Cela a pris du temps, mais ce faisant ils ont adopté le langage ampoulé et prudent des experts et des diplomates. Ils se sont transformés, aussi progressivement que surement en technocrates de l’environnement, du climat et de la contestation. Ils rédigent des rapports et des contre-propositions dans lesquels ils adoptent peu à peu les tics de langage des officiels. Ils sont devenus en quelques années des professionnels avertis de la protestation.

Ils se sont ainsi transformés, souvent inconsciemment pour une partie d’entre eux, en caution des diplomates, en faire valoir, voire en otages. Des observateurs expliquent qu’ils deviennent ainsi des « idiots utiles » : perdant progressivement leurs pouvoirs de contestation en se coulant dans le moule officiel des gouvernements et des diplomates qu’ils fréquentent (trop) assidument. Pour la bonne cause, bien sur, mais cette osmose laissent de plus de plus de traces, d’imprégnation et de tics de langage. Ils sont devenus l’opposition de Sa Majesté : impertinents mais dans le fond, faute d’autre solutions, complices. Un choix, une dérive niée ou assumée, une évolution subie qui les éloignent aussi doucement que surement de leurs militants de base et probablement d’une grande partie des opinions publiques qui les confond, dans leurs scepticismes, avec les « autres » tant les discours savants et subtils se ressemblent.

En se pliant à un certain nombres de rites, en évitant les confrontations et les manifestations non « politiquement correctes » dans les enceintes des conférences ou en y déployant des happenings raisonnables ou les remises quotidiennes dérisoires d’un prix « fossile » au pays ayant annoncé la décision la plus anti-écolo du jour, ils cherchent à préserver leurs accréditations ; et aussi leurs droits à tenir des stands d’informations sur leur activités sur le périmètre des conférences. Lequel bénéficie toujours d’un statut d’extra-territorialité et où le maintien de l’ordre est exclusivement exercé par la police des Nations Unies. Tout « trouble de cet ordre » onusien, la distribution de tracts ou de brochures non autorisés par exemple, est immédiatement sanctionné par une expulsion et un retrait des accréditations qui relèvent seulement du bon vouloir de l’ONU et non pas du pays hôte. Comme cela s’est produit à la Conférence de Copenhague et pendant celle du Qatar.

Mercredi, une manifestation (autorisée) qui n’a intéressé que les journalistes pour les images qui changent des costumes cravates qui trainent leurs valises dans les couloirs du Bourget

Illustration - Climat:coulisses de la Conférence COP 21 (9) La mort lente du mouvement associatif environnementaliste
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Au nom de la lutte contre le gaspillage de papier, les journaux de suivi des tractations sont de plus en plus réduits. Le modernisme en vigueur dans ces conférences impose, au lieu du papier qu’il faut avoir l’air d’économiser, une information qui se fait quasiment exclusivement par internet. Des communiqués et des messages qui touchent de moins en moins de lecteurs dans l’opinion publique du pays organisateur et dans tous les autres. Car les ONG n’ont pas les moyens ou la possibilité technique de communiquer avec des dizaines de milliers, voire des millions de destinataires dont ils ne possèdent évidemment pas les adresses. Les associations ne parlent donc qu’aux journalistes et aux autres associations ; éventuellement aux représentants des gouvernements qui s’y intéressent peu. L’avalanche des messages les rend d’autant plus inaudibles que bien peu d’experts et de diplomates lisent leurs informations et leurs analyses.

De plus en plus, prisonniers de leur vocabulaire et du jargon des officiels, les associations parlent tous la novlangue de l’ONU.
Bien sur les responsables associatifs réfutent cette analyse et ces reproches. Probablement parce qu’ils n’en ont pas toujours conscience et peut-être aussi, parce que happés par un engrenage infernal, ils n’ont guère d’autres solutions : ils se sont transformés en « diplomates de l’ombre » dont la parole est encore plus inaudible que celles des officiels qu’ils retrouvent à chacune des grandes messes climatiques. A chacun sa partition, même si la musique est légèrement différente : mais de loin, pour l’opinion publique, de communiqués en déclarations, les mots, voire les idées, ne se distinguent plus guère.

Les représentants des ONG, pour reprendre une expression beaucoup popularisées par les journalistes pendant la seconde guerre d’Irak en 2003, les délégués des ONG sont « embedded ». C’est-à-dire admis, tolérés, à condition de ne pas fâcher ou (trop) contredire ceux qui les acceptent comme un mal nécessaire, une concession à une transparence à la mode. A condition de ne pas exagérer, de ne pas franchir certaines limites dont nul ne connait précisément les contours. Ce qui vaut parfois à certains associatifs, comme à la conférence de Cancun, d’être expulsés manu-militari en bus par la police onusienne dont la patience ou l’humour ne sont pas les vertus premières. Parfois, comme lors de la rencontre de Doha, au Qatar, ce sont les autorités qui prennent la précaution de refuser des visas. Ce qui, évidemment, réduit à néant les possibilités de manifestations pendant la conférence. Comme les politiques, les représentants des ONG ont un besoin urgent de se renouveler, de parler autrement et de cesser de penser qu’ils font l’Histoire (du climat) alors qu’ils la subissent. »

Tous ces groupes devraient se demander pourquoi, dans les dernières enquêtes, la question environnementale se cache dans la profondeur du classement des préoccupations de l’opinion publique, tandis l’inquiétude sur le climat est absente.

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